A Bamako, l’arrestation d’un blogueur contestataire tourne à l’émeute
A Bamako, l’arrestation d’un blogueur contestataire tourne à l’émeute
Par Anthony Fouchard (contributeur Le Monde Afrique, Bamako)
La manifestation de soutien à un blogueur poursuivi par la justice malienne a dégénéré. Bilan : un mort et 17 blessés.
Plus de 1 000 personnes se sont rassemblées hier devant le tribunal de la commune 4 dans le quartier de Lafiabougou à Bamako. Mohammed Youssouf Bathily, surnommé Ras Bath, avait passé un appel via les réseaux sociaux, incitant ses partisans à venir le soutenir. Ce blogueur, à la plume acérée, ne mâche pas ses mots pour critiquer le gouvernement. Il a été arrêté le 15 août.
Le rassemblement a tourné court lorsque certains manifestants ont tenté de pénétrer dans l’enceinte du tribunal. La garde nationale qui sécurise les lieux a fait usage de gaz lacrymogène. Les manifestants ont répliqué avec des jets de pierres. Le tribunal a été en partie saccagé. Des feux ont été allumés par les fenêtres à l’aide de bidons d’essence, avant l’arrivée de renforts de police qui ont alors violemment réprimé la manifestation, pourchassant les émeutiers et les badauds dans les rues adjacentes.
Barricades contre tirs à balles réelles
Plusieurs centaines d’opposants ont commencé à enflammer des palettes et des pneus pour dresser des barricades et freiner la progression des forces de l’ordre. La police a alors oublié toute retenue, slalomant à vive allure entre les obstacles et tirant à vue sur ceux qui couraient mais aussi sur les passants au bord de la route. Des tirs de gaz lacrymogènes mais aussi à balles réelles.
A l’hôpital Gabriel Tour où le plan blanc a été déclenché sur ordre de la ministre de la santé, on confirme « de nombreux blessés par balle ». Au moins un manifestant est décédé.
Hier dans la soirée, le procureur et le directeur adjoint de la police ont affirmé que les forces de l’ordre n’étaient pas en possession d’armes létales. Une version en partie contredite du côté du ministère de la sécurité publique où l’on avoue que « oui, les policiers pouvaient porter leur kalachnikov, mais juste en guise de dissuasion ».
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« C’est une entrave à la liberté d’expression. Ras Bath, c’est un jeune, il est instruit. Il dit des choses sur le gouvernement, il éveille les Maliens. Voilà ce que le gouvernement cherche à arrêter », scande Mohammed, juché sur sa moto, qui guette l’avancée des forces de l’ordre.
Ras Bath a été arrêté mardi et placé en garde à vue pour « atteinte aux mœurs » et « propos démobilisateur de troupes ». Sa dernière chronique pour la radio Maliba FM épinglant le chef d’état-major des armées au Mali, Didier Dacko, est visiblement très mal passée. Le blogueur y réclamait la démission du chef d’état-major qu’il accuse de « n’avoir jamais obtenu de victoire ».
Des propos intolérables pour le procureur général, Mohammed Lamine Coulibaly, qui dément toute volonté « d’entrave à la liberté de la presse ». Mohammed Youssouf Bathily n’est pas un inconnu. Actif dans les médias, il est à la tête du collectif pour la défense de la république (CDR) et il est le fils de Mohamed Aly Bathily, actuel ministre des domaines de l’Etat et des affaires foncières.
Réseaux sociaux bloqués
Victime de nombreux revers sur le terrain, les forces armées maliennes (FAMA) sont la cible de toutes les critiques. Une situation qui avait même poussé le ministre de la défense a convoquer les journalistes il y a quelques jours, pour les inciter à plus de clémence et de « cohésion nationale autour des FAMA dans ces moments difficiles ».
Toujours est-il que depuis 17 heures mercredi, les réseaux sociaux sont bloqués à Bamako. Impossible d’accéder à Facebook et Twitter, sauf en passant par un serveur proxy. Du côté des fournisseurs d’accès internet au Mali on dément toute implication, en évoquant une décision prise « plus haut », selon un technicien. Le gouvernement nie tout blocage. « Quel pays sommes nous si nous bloquons les moyens de communication pour une affaire comme celle-là » tente de se justifier notre source du ministère de la sécurité publique.
Les Maliens ont pour la plupart déjà trouvé la parade et utilisent des VPN (virtual private network). Les sites d’actualité locaux eux, publient des tutoriels qui expliquent comment se servir de ces outils pour déjouer la censure.