Au Burkina Faso, les écolières apprennent à ne plus avoir honte de leurs règles
Au Burkina Faso, les écolières apprennent à ne plus avoir honte de leurs règles
Par Matteo Maillard (Ouagadougou, envoyé spécial)
Série : Un combat pour la vie (17). Sensibiliser à l’hygiène menstruelle est un parcours de longue haleine. Lutter contre les moqueries des garçons, aussi.
Une main se lève au milieu de la classe. « Madame, quand on a nos règles, est-ce qu’on a le droit de boire du bolo [bière traditionnelle à base de sorgho] ? », demande incrédule une élève de CM2. « Est-on seulement supposée boire du bolo à ton âge ? rétorque l’institutrice, Djamila Dayamba, mains sur les hanches. Enfin, si tes parents t’en donnent un petit peu », ajoute-t-elle, le regard complice. Les camarades éclatent d’un rire libéré. Aujourd’hui, il n’y a que des filles en classe.
Studieuses, les élèves lisent la brochure de sensibilisation aux menstruations. | Matteo Maillard
Ce mardi de mai est un jour un peu spécial pour les élèves de l’école primaire Wayalghin D de Ouagadougou, la capitale burkinabée. Les garçons ont été priés de rester chez eux pour que les écolières puissent discuter entre elles de menstruations et d’éducation sexuelle. C’est la première étape d’un projet pilote lancé par le ministère de l’éducation nationale et de l’alphabétisation, en collaboration avec l’Unicef. L’objectif est de fournir aux écoles des outils pour améliorer la gestion de l’hygiène menstruelle (GHM) afin que les filles puissent rester à l’école pendant toute la durée de leurs règles.
Déscolarisation
« Les menstrues présentent un risque de déscolarisation non négligeable, avance Djamila Dayamba, institutrice à Fada N’Gourma, venue aujourd’hui à Ouagadougou sensibiliser aux questions de santé reproductive. Il est ressorti d’une étude de l’Unicef que les filles abandonnaient quelques jours l’école lors de leurs règles. A cause des douleurs et de la honte. C’est parce qu’elles ne savent pas ce qui leur arrive. Leurs vêtements se tachent de sang en classe, parfois les camarades se moquent d’elles, alors elles fuient. »
Djamila et quelques membres de l’Unicef sont venus avec une brochure de quinze pages qu’ils souhaitent présenter aux filles de l’école avant d’en lancer la distribution dans tous les établissements scolaires du Burkina Faso. Des dessins montrent une adolescente durant sa toilette quotidienne, un schéma de l’appareil génital féminin explique les menstrues et un patron permet de se fabriquer des serviettes hygiéniques artisanales découpées dans des pagnes. « Nous voulons montrer aux élèves qu’elles peuvent utiliser des ressources simples, à disposition de toutes, sans nécessairement acheter de matériel coûteux », explique Victoria Trinies, consultante pour le projet GHM chez Unicef.
De jeunes élèves burkinabées lisent à haute voix des extraits de la brochure de sensibilisation aux menstruations. | Matteo Maillard
A la fin de la brochure, les élèves doivent répondre à un questionnaire pour vérifier leurs connaissances : « Les filles peuvent-elles continuer leurs activités habituelles pendant leurs règles ? », « Peut-on attraper une maladie comme le VIH si l’on a un rapport sexuel non protégé ? ». Djamila explique :
« Nous avons constaté que certaines élèves connaissaient déjà schématiquement le fonctionnement des règles mais ignoraient souvent tout de la puberté. Elles ne font pas le lien entre menstrues et grossesse. C’est pour cela qu’on leur apprend les bases. Car, au Burkina, l’éducation sexuelle n’est pas très développée. C’est un sujet tabou. Les mères ont honte d’en parler et, à l’école, son enseignement est laissé à la volonté des instituteurs qui prennent rarement le temps. Avec ces outils pédagogiques, nous voulons leur donner un appui. »
Talents pédagogiques
L’institutrice Djamila Dayamba félicite une fille qui a répondu correctement à ses questions. | Matteo Maillard
En plus de la brochure à l’attention des filles, les outils comprennent des affiches s’adressant aux garçons pour qu’ils cessent de se moquer de leurs camarades pendant la période des règles. Un guide pour sensibiliser les parents et un autre pour que les écoles adaptent leurs règlements et leurs infrastructures aux besoins hygiéniques des filles.
« Notre objectif est qu’elles puissent en parler avec leurs camarades et que l’information circule entre elles, explique Djamila. Vu les réactions de ce matin, je pense qu’elles ont appris des choses. Elles ont posé de très bonnes questions. » Dont certaines ont nécessité les talents pédagogiques et synthétiques de Djamila, comme celle-ci : « Pourquoi les règles s’arrêtent quand une femme est enceinte ? » Réponse de l’intéressée :
« Les menstrues montrent que tes organes de reproduction marchent bien. Tu sais, chaque femme a deux ovaires. Et chaque mois, un œuf en sort et descend dans les trompes. Là, l’œuf de l’homme entre dans la femme et rencontre l’œuf de la femme qui prépare l’enfant, le fait grandir dans son ventre. Mais s’il n’y a pas l’œuf de l’homme, le sang qui devait préparer l’enfant ne sert à rien. Il est périmé et doit sortir. C’est ce phénomène que l’on appelle les règles. »
Gageons qu’avec de telles explications, la bonne parole se propagera rapidement dans toutes les écoles du Burkina Faso.
Cet article est un épisode de la série d’été du Monde Afrique, « Un combat pour la vie », qui va nous mener du Sénégal aux rives du lac Tchad, 4 000 km que notre reporter Matteo Maillard a parcourus entre avril et juin 2016.