Le blues des jeunes en robe noire
Le blues des jeunes en robe noire
Par Gaëlle Picut
Faibles rémunérations, conditions de travail précaires : la profession d’avocat n’est plus une valeur refuge du marché de l’emploi.
Le métier d’avocat se serait-il paupérisé ? De plus en plus de jeunes diplômés expriment une certaine amertume, au point parfois de quitter la robe. Au fil des années, la situation de ces jeunes juristes s’est précarisée. A l’origine du phénomène, l’explosion de leur nombre en France.
Quelque 80 avocats vêtus de leur robe manifestent le 24 juin 2010 à Toulouse devant la Cour d'appel pour défendre le système d'aide juridictionnelle qui permet "l'égal accès de tous au juge" et réclamer une rémunération "décente" des avocats intervenant dans ce cadre. Le président de la République devait annoncer ce jour à Paris les premières lignes de la réforme qu’il envisage de l’aide juridictionnelle et les avocats de France se réuniront le 25 juin 2010 en états généraux à Lille. AFP PHOTO / REMY GABALDA | REMY GABALDA / AFP
L’Observatoire du Conseil national des barreaux dénombrait 60 000 avocats en 2014 (54 % de femmes), soit une augmentation de 40 % en dix ans, alors que le volume d’affaires n’a pas augmenté au même rythme. Certains secteurs sont particulièrement touchés, comme le droit des affaires, le droit pénal ou le droit de la propriété intellectuelle. D’autres restent relativement porteurs comme le droit de la famille, le droit fiscal ou encore le droit social.
Résultat : une concurrence exacerbée, des difficultés à trouver une collaboration et des honoraires tirés vers le bas. Hormis quelques privilégiés exerçant en droit des affaires ou droit fiscal au sein de prestigieux cabinets, le niveau de rémunération des nouveaux venus dans la profession est très décevant. « Mes proches, bercés par le mythe de l’avocat roulant en Porsche, ont encore du mal à croire que certains puissent se verser à peine plus que le SMIC en travaillant plus de cinquante heures par semaine après huit ans d’études », remarque Sandrine, qui exerce au sein d’un cabinet généraliste à Lyon depuis qu’elle a prêté serment il y a trois ans.
Un avocat collaborateur touche en moyenne entre 2 500 et 3 000 euros en rétrocession d’honoraires. Une fois les charges et les impôts payés, il lui reste entre 1 500 et 1 700 euros net par mois. Les permanences (garde à vue, commis d’office…) permettent d’arrondir les fins de mois, mais elles restent rares, compte tenu du système de rotation, avec un niveau d’indemnisation relativement modeste au titre de l’aide juridictionnelle.
Les collaborations ne permettent plus de développer sa propre clientèle. « Si le statut de collaborateur permet théoriquement au jeune avocat de bénéficier de temps libre pour développer sa propre clientèle, de très nombreux cabinets ne jouent pas le jeu et noient tant les collaborateurs de travail qu’il est matériellement impossible d’avoir des dossiers personnels, sauf à travailler la nuit et le week-end, de sorte qu’il s’agit souvent ni plus ni moins que de salariat déguisé, les avantages en moins (RTT, chômage en cas de licenciement…) », témoigne Sandrine.
Des délais à rallonge pour s’installer
Et ces collaborations sont parfois difficiles, voire houleuses. C’est le cas pour Lorraine, 31 ans. « J’ai passé le barreau de Paris en 2012, spécialisée en droit intellectuel. J’ai d’abord galéré pendant deux ans pour trouver une collaboration en province. Ensuite, j’ai encore déchanté, car ma relation avec l’associée à l’ego surdimensionné n’a fait que se dégrader. » Ces mauvaises conditions de travail associées à des responsabilités importantes et à des horaires à rallonge, le tout pour une faible rémunération, l’ont conduite au burn-out. « Cela a accéléré ma décision de me réorienter vers une tout autre voie : chargée de clientèle dans l’e-commerce », confie-t-elle.
Le délai pour espérer s’associer ou s’installer à son compte s’allonge donc, surtout dans les villes où la concurrence est forte. « Si j’aspire, à moyen terme, à exercer au sein de mon propre cabinet, cela m’est pour l’heure impossible, faute d’un réseau et d’une clientèle suffisants pour faire face aux multiples charges, notamment locatives, explique Sandrine. Les conditions de travail étaient déjà difficiles il y a une vingtaine d’années, mais les confrères parvenaient plus facilement à développer leur clientèle, estime l’avocate, qui ajoute que le statut social des avocats semble aussi avoir évolué négativement au cours des dernières décennies, passant dans l’imaginaire collectif du notable au requin sans âme. »
Face à ces difficultés, près de 20 % des hommes et 40 % des femmes quittent le barreau au cours des dix premières années de leur carrière, essentiellement pour travailler comme juristes d’entreprise. D’autres complètent leur formation par une année en gestion ou en école de commerce pour se différencier. D’autres encore s’inscrivent sur des sites de référencement d’avocats, mais sans être très convaincus de leur efficacité.
« Une revalorisation de l’aide juridictionnelle et une remise à plat du statut de collaborateur permettraient aux jeunes avocats de débuter plus sereinement dans cette profession », suggère Sandrine. Quant à la question d’un numerus clausus, c’est devenu un serpent de mer.