Par petites touches, Alain Juppé répond à Nicolas Sarkozy
Par petites touches, Alain Juppé répond à Nicolas Sarkozy
Par Matthieu Goar
Lors de sa rentrée politique à Chatou (Yvelines), le candidat à la primaire s’est démarqué de son principal rival. Il n’a pas l’intention de se laisser entraîner sur le terrain identitaire et clivant de l’ancien chef de l’Etat.
Alain Juppé, candidat à la primaire à droite, fait sa rentrée politique à Chatou, samedi 27 août 2016 2016. | Jean-Claude Coutausse / french-politics pour Le Monde
Certains entrent en campagne comme ils mènent une offensive militaire, en déployant tous leurs lieutenants dans les médias et en frappant massivement l’adversaire. C’était le cas de Nicolas Sarkozy cette semaine avec un livre dans lequel il ironise sur le concept « d’identité heureuse » de M. Juppé, alors que François Baroin moquait à la radio « l’immense naïveté » du maire de Bordeaux. Samedi 27 août, à l’occasion de sa rentrée politique sur l’île des impressionnistes à Chatou (Yvelines), M. Juppé a répondu aux salves sarkozystes, souvent par petites touches et parfois avec quelques coups de pinceaux plus appuyés. De quoi rassurer ses partisans sur sa détermination. « Aujourd’hui, après deux années de dialogue avec les Français, je suis prêt. Je sais ce que je veux faire pour sortir notre pays de son marasme actuel. Et je sais comment le faire », a lancé l’ancien premier ministre au milieu de la verdure devant un peu plus de 2 000 personnes. Avant d’ajouter : « Je suis l’homme de la situation. »
Alors que Nicolas Sarkozy rêve de faire de l’identité, de l’immigration et de la sécurité les seules thématiques de la campagne, Alain Juppé a affiché sa volonté de ne pas se laisser dicter l’agenda des débats et le ton des échanges :
« Je vais poursuivre une campagne qui me ressemble. Ma campagne, pas celle d’un autre. Je ne vais pas dire à chacun ce qu’il a envie d’entendre pour mieux le séduire à court terme et mieux le décevoir ensuite. Je refuserai toujours d’instrumentaliser les peurs, de flatter les bas instincts. »
L’ancien premier ministre s’est prononcé samedi 27 août dans le Figaro contre une loi interdisant le burkini pour ne pas jeter de « l’huile sur le feu », contrairement aux sarkozystes qui vont déposer une proposition de loi sur ce sujet.
« Cette campagne ne doit pas avoir un goût de revenez-y »
Alain Juppé parmi ses soutiens, samedi 27 août à Chatou. | Jean-Claude Coutausse / french-politics pour Le Monde
Quelques minutes avant Alain Juppé, un autre ancien premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, avait aussi ciblé M. Sarkozy : « Cette campagne ne doit pas avoir un goût de revenez-y. Je ne vise bien entendu personne en disant ça », a-t-il expliqué avant de s’insurger contre cette éventuelle loi :
« Choisir un sujet secondaire, c’est éviter de traiter le sujet principal. (…) Nous ne voulons pas opposer les Français, nous ne voulons pas de clivage. Quand on a trop clivé, on crée des blocages et il n’est plus possible de réformer. On ne gouverne pas avec la haine. La haine c’est la force des faibles. »
M. Raffarin ne vise « bien entendu personne ». Mais tout le monde a compris quelle était sa cible.
S’il n’a jamais cité son rival à la tribune mais ironisé sur le « défaitisme des prophètes de malheur », M. Juppé a répondu point par point aux attaques des sarkozystes. « Ils diront que je suis vieux. (…) Jamais je ne me suis senti aussi serein, dans mon corps et dans mon esprit. Ils diront que je suis trop dur ou trop mou, à gauche, au centre ou nulle part, étatiste ou hyper-libéral, gaulliste ou atlantiste… Tout cela, me laissera serein », a promis le maire de Bordeaux. Il en a profité pour parler de lui en se définissant comme un homme « orgueilleux un peu et timide beaucoup, sportif modérément, amoureux romantiquement et ambitieux méthodiquement ». Le candidat poursuivra cet exercice de confession dans un livre électronique qui sera diffusé dans les quinze jours à venir. Il y donnera également sa feuille de route pour la France en compilant ses principales propositions.
La campagne se jouera-t-elle sur les idées ?
Au début de cette campagne de la primaire, les rôles sont déjà bien répartis : alors que Nicolas Sarkozy a durci le ton sur l’immigration en proposant de suspendre le regroupement familial, Alain Juppé veut « rassembler plutôt que de vouloir exclure ou stigmatiser, rassembler plutôt que d’exciter les surenchères ». Un positionnement qui ne correspond pas, selon les proches de Nicolas Sarkozy à la droitisation de l’électorat sur la question de l’islam.
Face à ces attaques, l’ancien premier ministre a déroulé encore une fois ses propositions sur ce sujet : mise en place d’une charte de la laïcité, fermeture des mosquées salafistes, formation universitaire des imams… Mais aussi sur l’antiterrorisme : création de 10 000 places de prison, alourdissement des peines, mobilisation des réserves de la gendarmerie, création d’un service de renseignement territorial. Sans aller jusqu’à l’internement des fichés S comme le prône l’aile droitière du parti Les Républicains (LR) : « Je n’accepterai pas un Guantanamo à la française où l’on enfermerait sans jugement des milliers de personnes sur simple soupçon. »
« Je refuserai toujours d’instrumentaliser les peurs », a déclaré Alain Juppé samedi 27 août. | Jean-Claude Coutausse / french-politics pour Le Monde
Mais la campagne se jouera-t-elle sur les idées ? Comme attendu, la primaire s’oriente plutôt vers un affrontement de personnalités et de passés. Comme en 2007 et 2012, Nicolas Sarkozy veut reconquérir la droite la plus radicalisée en adoptant une posture martiale et décrivant Alain Juppé comme un « naïf ». L’œil rivé sur les sondages, les lieutenants du maire de Bordeaux ne cessent de répéter que cette élection se jouera sur la « crédibilité et le sérieux ». Une façon subtile de dire que Nicolas Sarkozy traîne son passif et le bilan du quinquennat 2007-2012 où il n’a pas tenu toutes ses promesses.
« Je ne crois plus au marketing du “J’ai changé”. Le seul sujet est qui est le plus crédible. Nous ne sommes pas là pour chercher la séduction mais pour trouver l’élection », a confié M. Raffarin à quelques journalistes. « La pièce de théâtre a duré cinq ans. C’est plus difficile maintenant de croire aux effets spéciaux », a critiqué de son côté, Christine Albanel, ancienne ministre de la culture. L’équipe du maire de Bordeaux est persuadée que l’image de Nicolas Sarkozy est trop abîmée dans l’opinion auprès d’une grande partie de la droite et du centre. Qu’on ne reconquiert pas un électorat que l’on a déçu.
Les sondages semblent pour l’instant leur donner raison, puisque M. Sarkozy reste en retard malgré un été très actif après les attentats de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray et une annonce de candidature façon Blitzkrieg. « Ce n’est pas à nous de changer la donne. C’est aux autres de venir nous chercher », lâche Gilles Boyer, directeur de la campagne de M. Juppé. Une enquête a d’ailleurs eu beaucoup de succès dans l’équipe du maire de Bordeaux cette semaine, celle de l’institut Elabe : 79 % des sondés affirment ne pas vouloir que M. Sarkozy redevienne président. Reste à voir quelle part des 21 % restant iront voter les 20 et 27 novembre prochains.