Centrafrique : les « Fauves », ces artisans de la paix
Centrafrique : les « Fauves », ces artisans de la paix
Par Alexis Billebault (contributeur Le Monde Afrique)
Frappés par un conflit intercommunautaire de 2013 à 2015, les Centrafricains disputent une qualification historique pour la CAN, dimanche à Kinshasa.
Herve Lougounddji, à droite, sélectionneur de la Centrafrique, en 2013 à Yaounde. | ISSOUF SANOGO / AFP
Dimanche à 18h30, ils seront quelques centaines, peut-être quelques milliers de Centrafricains, noyés dans l’immense stade des martyrs de Kinshasa. L’instant sera historique : jamais les Fauves n’ont participé à la Coupe d’Afrique des Nations, la plus grande compétition du continent organisée tous les deux ans. Et la présence de la Centrafrique au Gabon début 2017, alors que le pays s’extirpe doucement d’une sanglante guerre civile, prendrait une dimension toute particulière. « Une victoire à Kinshasa, et c’est la qualification assurée. Un match nul pourrait suffire, à condition que les résultats des autres matches nous soient favorables. Mais on y va pour gagner », résume Eloge Enza Yamissi, capitaine des Fauves et milieu de terrain de Valenciennes (Ligue 2).
Il y a presque un an, le 6 septembre 2015, la Centrafrique retrouvait son public lors du match aller face aux Congolais (2-0), quasiment vingt-quatre mois après sa dernière apparition au stade Barthélémy-Boganda, où elle a la réputation d’être quasiment invincible. Ce jour-là, après leur succès contre le Burkina Faso (1-0, qualifications pour la CAN 2015), les Fauves ne s’imaginaient pas que leur pays, déjà maltraité par les coups d’Etat, les dérives autocratiques incarnées par le sinistre Jean-Bedel Bokassa et une première guerre civile entre 2004 et 2007, allait plonger dans un nouveau conflit meurtrier, obligeant les joueurs à disputer leurs matches au Congo ou au Cameroun.
« Aucune tension »
« Ce 6 septembre, tout le monde était au stade. Chrétiens, musulmans, athées. Certes, la sécurité était impressionnante, mais on ne sentait aucune tension. Les gens étaient là pour se réunir autour de l’équipe nationale », se souvient Willy Kongo, le team-manager des Fauves, qui vit à Paris.
« Dans l’équipe, il y a des chrétiens, en majorité, et des musulmans. Même au plus fort de la crise, il n’y a jamais eu le moindre problème. Ce qui se passait au pays les touchait tous. Tous y ont de la famille, des proches... Des joueurs ont aussi perdu des êtres chers. Ils ont eu des discussions, mais jamais il n’y a eu de tensions », assure le sélectionneur Hervé Loungoundji, uniquement payé lors des rassemblements de la sélection et qui gagne sa vie en Guinée Equatoriale, où il profère ses conseils dans une académie de football.
Au plus fort de la guerre civile, la sélection nationale aurait pu exploser. « Je n’ai pourtant jamais eu cette peur, assure le vice-capitaine Foxi Kethevoama (Baliksehirspor, Division 2 turque). Aucun musulman ou aucun chrétien de l’équipe n’a un jour dit qu’il ne viendrait plus. J’ai au contraire l’impression que ce conflit a soudé les joueurs. Nous savions que nous avions un rôle à jouer au sein de la population... »
« Des zones de turbulences »
Les internationaux sont éparpillés un peu partout dans le monde (France, Belgique, Grèce, Turquie, Slovaquie, Kazakhstan, Malaisie, Vietnam, Cameroun, Arabie Saoudite, Guinée Equatoriale…) mais chacun tient à venir. A chaque rassemblement, les Fauves jouent la carte de l’unité, sans jamais surjouer. « On prie tous ensemble. Et dès que nous en avions l’occasion, on délivrait des messages de paix, comme lors des interviews notamment, sans qu’on nous pose forcément de questions sur le sujet. Et on continue de le faire, car même si la situation est calme presque partout dans le pays, il y a encore des zones de turbulences. On ne pourra parler de paix que dans deux ou trois ans. Pendant des années et des années, les Centrafricains de toutes confessions ont vécu ensemble. Il y a des familles où il y a des chrétiens et des musulmans, et il n’y a pas de raison pour que cela ne fonctionne plus. Mais il faudra du temps », explique Eloge Enza Yamissi.
Comme les footballeurs ivoiriens l’avaient fait quand leur pays menaçait de sombrer dans le chaos, les joueurs centrafricains ont dû endosser un costume de pacificateurs, s’exposant à des tentatives de récupération politique. « La récupération politique, c’est un sport universel, coupe Willy Kongo. Mais ce n’est pas illogique de vouloir mettre en avant les résultats de la sélection nationale pour montrer que la Centrafrique peut réussir et vivre en paix. »
Le président de la République, Faustin-Archange Touadéra, élu en mars, a rendu visite aux joueurs et au staff technique quelques jours avant le match remporté face à l’Angola à Bangui (3-1, le 5 juin) et qui permet aux Fauves d’entretenir l’espoir d’une qualification historique. « La fédération n’est pas autonome et dépend de l’Etat, explique Hervé Loungoundji. Ce dernier semble décidé à mettre des moyens pour que la sélection puisse travailler dans de bonnes conditions. Il sait que le football peut avoir un rôle très important dans le pays. Ici, il y a un championnat qui se déroule normalement depuis le retour au calme. »
Foxi Kethevoama espère juste que cette volonté survivra à une éventuelle élimination des Fauves, dimanche dans l’enfer des Martyrs : « Qu’on se qualifie ou pas, il faut voir à long terme. Ce n’est que du football, mais ici, c’est quelque chose de très important... »