Pantoufle ou « sauve-qui-peut »?
Pantoufle ou « sauve-qui-peut »?
Par Pierre Jullien
La chronique du mot de l’emploi.
« Pour le Larousse, « pantoufler » signifie, « pour un fonctionnaire, en particulier pour un ancien élève des grandes écoles, quitter le service de l’Etat pour celui d’une entreprise privée » (Photo: le général Denis Favier lors de sa cérémonie d’adieux, aux Invalides, le 30 août). | BERTRAND GUAY / AFP
Le 30 août, Denis Favier, qui fut en 2012 conseiller gendarmerie au cabinet du ministre de l’intérieur de l’époque, Manuel Valls, a quitté ses fonctions de directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) pour devenir patron de la sûreté de Total… Apportant de l’eau au moulin de Philippe Vigier qui, mi-juillet, déclarait que « pantouflage et camouflage sont les deux mamelles du hollandisme ».
Le président du groupe UDI à l’Assemblée nationale critiquait la proposition de François Hollande de nommer le député PS du Nord, Bernard Roman, l’un des questeurs de l’Assemblée, pour succéder à Pierre Cardo à la tête de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer). Une reconversion qui succède aux départs récents chez Airbus Safran Launchers de Hugo Richard, ancien chef adjoint de cabinet du ministre de la défense, chez Axa de la conseillère de l’Elysée Laurence Boone, ou encore chez Amundi du conseiller économique à la présidence de la République Jean-Jacques Barbéris.
Pour le Larousse, « pantoufler » signifie, « pour un fonctionnaire, en particulier pour un ancien élève des grandes écoles, quitter le service de l’Etat pour celui d’une entreprise privée », le « pantouflage » étant le fait de pantoufler. Le Trésor de la langue française informatisé (TLFI) le qualifie d’« argot des écoles », datant de 1878, « en parlant des élèves de Polytechniques » qui « renoncent à une carrière au service de l’Etat ».
45 000 euros
Dans le cadre de l’examen du projet de loi Sapin II sur la transparence de la vie économique, le Sénat a confié le 6 juillet à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) – créée fin 2013 dans la foulée du scandale Cahuzac – le contrôle du pantouflage, actuellement de la compétence de la commission de déontologie de la fonction publique. « Trop d’énarques ou de polytechniciens pantouflent sans respecter l’obligation de servir dix ans dans la fonction publique », constatait Cécile Cukierman (CRC, Communiste, républicain et citoyen), rappelant que la formation d’« un élève à l’ENA coûte 168 000 euros à l’Etat et que la pantoufle a été rétablie à Polytechnique en 2015 ».
C’est à cette date que le gouvernement a publié au Journal officiel le décret réformant ce régime. La pantoufle est la somme – 45 000 euros – que les élèves qui ne travaillent pas dix ans pour l’Etat en sortant de l’école militaire d’ingénieurs doivent rembourser à l’école. Mais, note Emmanuel Aubin, « les premiers remboursements de pantoufle n’interviendront pas avant 2025 puisque seuls sont concernés les élèves qui intégreront la prestigieuse école à compter de 2015 » (La Fonction publique, Lextenso Editions, 2015).
Dans l’argot de Polytechnique, la pantoufle s’oppose à la « botte », cette dernière désignant l’ensemble des élèves sortis en tête « et qui peuvent accéder aux carrières les plus prisées de l’Administration » (TLFI).
Le délit de pantouflage, selon le site dalloz-actu-etudiant.fr, « désigne l’infraction de prise illégale d’intérêts commise par une personne ayant exercé une fonction publique avant l’expiration d’un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions », sachant que « les fonctionnaires ne peuvent prendre, par eux-mêmes ou par personnes interposées, dans une entreprise soumise au contrôle de l’administration à laquelle ils appartiennent ou en relation avec cette dernière, des intérêts de nature à compromettre leur indépendance ». Trois ans au lieu de cinq auparavant, le Sénat notant le 30 août, dans son Projet de loi de modernisation de la fonction publique, que « ce délai a été introduit en 1919 alors que l’administration française connaissait des départs massifs de ses agents vers le secteur privé ».
« Sauve qui peut »
Christophe Charle distingue « trois types de pantouflage selon le moment où il se situe dans la carrière du haut fonctionnaire : le pantouflage de début de carrière, de milieu de carrière et de retraite » (« Le Pantouflage en France (vers 1880-vers 1980 », dans Annales. Sociétés. Economies, n°5/1987).
Le dictionnaire sensagent.com explique que « le terme s’applique aussi aux hommes politiques qui, suite à un échec électoral ou à la perte d’un portefeuille ministériel, occupent un poste grassement rémunéré dans une entreprise privée, avec des responsabilités limitées, s’arrêtant, en général à du lobbying, en attendant l’occasion de revenir sur la scène politique », un phénomène qui existe au Japon sous le nom d’« Amakudari ». A la liste des synonymes, on pourrait ajouter « sauve qui peut » à l’approche de la présidentielle de 2017 !
Littré donne comme définition « raisonner comme une pantoufle, ou, elliptiquement, raisonner pantoufle, dire des riens, raisonner au hasard »… Tout le contraire de ces intérêts bien ordonnés qui commencent par soi-même…
Selon Théophile Gautier (1811-1872), « la fortune aime assez à donner des pantoufles à ceux qui ont des jambes de bois, et des gants à ceux qui n’ont pas de mains » (Mademoiselle de Maupin, 1835). Pensait-il aux politiques ?