Football : la FIFA dissout son comité antiracisme
Football : la FIFA dissout son comité antiracisme
Par Rémi Dupré
Membre de ladite « task force », le Nigérian Osasu Obayiuwana regrette la décision de la Fédération internationale.
C’est dans une lettre envoyée à ses membres que la FIFA a annoncé la dissolution de sa « task force », ou groupe de travail, contre le racisme. Revélée, dimanche 25 septembre, par l’agence de presse Associated Press, cette surprenante décision a suscité la controverse. « Ce groupe de travail a toujours eu une durée de vie limitée. Il n’est pas question de dire qu’il n’y a aucun problème de racisme dans le football », a écrit la FIFA dans son courrier.
« C’est même un dossier prioritaire de la FIFA ! Le groupe de travail a donné ses recommandations pour la lutte contre le racisme, sa mission est terminée, dit l’organisation. Aux confédérations, aux fédérations désormais d’appliquer ces recommandations. Un comité sera mis en place par la FIFA pour vérifier l’avancement de l’application des mesures. »
Ledit groupe de travail avait été mis en place en 2013, à l’initiative de Sepp Blatter, alors président de la FIFA, et depuis suspendu six ans par l’instance. La création de ce groupe de travail découlait de l’adoption par le 63e congrès de la Fédération internationale d’une résolution sur la lutte contre le racisme et la discrimination. En mai 2015, la FIFA avait suivi les recommandations du groupe de travail avant d’introduire un système de surveillance antidiscrimination pour les matchs de qualifications pour le Mondial 2018, en Russie.
La seule disposition effective prise par le groupe de travail incluait le « déploiement d’observateurs antidiscrimination afin de contrôler et signaler tout cas de discrimination lors de matchs. » Ce système avait été mis en œuvre « en collaboration avec le réseau FARE », Football Against Racism in Europe, une organisation spécialisée dans ce domaine et dont le directeur exécutif, Piara Powar, avait intégré le groupe de travail.
La présidence du controversé Jeffrey Webb
La présidence du groupe de travail avait été confiée au Caïmanien Jeffrey Webb, vice-président de la FIFA et patron de la Confédération d’Amérique du Nord, centrale et des Caraïbes. Arrêté le 27 mai 2015, lors du spectaculaire coup de filet réalisé à Zurich à l’initiative de la justice américaine, ce putatif successeur de Sepp Blatter a été depuis inculpé pour « racket, fraude et blanchiment». Extradé vers les Etats-Unis, Webb a été suspendu à vie, le 9 septembre, par le comité d’éthique de la FIFA pour « conflit d’intérêts et corruption».
« Celui qui était présenté comme le grand sauveur était devenu le directeur du groupe de travail contre le racisme et les discriminations. J’ai vraiment misé sur lui, et c’est le premier qui a été arrêté... Moi, je ne peux pas être la conscience personnelle de ces gens-là », confiait, las, Sepp Blatter au Monde, en décembre 2015.
Après la chute de Webb, la présidence du groupe de travail avait été confiée au Congolais Constant Omari, ex-partisan de M. Blatter et l’un des représentants de l’Afrique au conseil (gouvernement) de la FIFA. Contacté par Le Monde, ce dernier n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Une banderole contre le racisme déployée lors du match entre les Pays-Bas et le Costa Rica, le 5 juillet 2014. | DAMIEN MEYER / AFP
« Seulement trois réunions en trois ans »
Consultant au sein du groupe de travail, le milieu ivoirien Yaya Touré a, lui, regretté sa dissolution. « Quand j’ai reçu la lettre m’annonçant que la task force ne poursuivrait pas son travail, j’ai été très déçu, a expliqué le joueur de Manchester City sur son site Internet. La lettre listait toutes les missions accomplies par ce groupe. Pourquoi arrêter quelque chose qui commençait à fonctionner ? Cette décision n’a pas de sens.»
Membre du groupe de travail, le journaliste et chroniqueur nigérian Osasu Obayiuwana déplore, lui aussi, la décision de la FIFA. Contacté par Le Monde, il nous a envoyé par email les réponses (publiées de manière partielle) qu’il avait transmises à Associated Press.
«J’espérais pouvoir dire que je suis choqué par cette décision. Mais malheureusement, je ne le suis pas. J’avais déjà été averti, il y a plusieurs semaines, par un dirigeant de la FIFA proche de M. Infantino [le président de la FIFA, élu le 26 février], qu’une lettre arriverait. Je me doutais de ce qui allait finalement arriver. Gardez à l’esprit que la task force est, pour ainsi dire, morte depuis près de deux ans maintenant. Nous n’avons pas eu de réunion en plus de dix-huit mois, au moins. En trois ans d’existence, nous n’avons eu que trois réunions. Je pense que le problème du racisme dans le football reste brûlant, sérieux et d’actualité. Il nécessite une attention continue. »
« Les joueurs de couleur et la postérité auront le dernier mot »
Pour M. Obayiuwana, le groupe de travail « avait encore beaucoup de travail, notamment dans l’optique du Mondial 2018 en Russie. » « Mais il est évident que les responsables de la FIFA n’ont pas la même position. Ce qui est tout à fait leur droit, bien sûr », dit-il. Cette décision de la Fédération internationale est d’autant plus surprenante que, selon une récente étude des ONG FARE et Sova Center, 92 incidents racistes ont été répertoriés en Russie pour la seule saison 2014-2015, contre 83 pour les deux saisons précédentes réunies. Kick It Out, une ONG anglaise spécialisée dans l’antidiscrimination, s’est dite « perplexe », rappelant que la Russie « est réputée pour les abus et actes racistes contre les minorités. »
« L’administration de la FIFA a-t-elle raison d’avoir démantelé le groupe de travail ? Je pense que les joueurs de couleur et la postérité auront le dernier mot sur ça, insiste M. Obayiuwana. La lutte contre le racisme et la discrimination dans le football est et restera, dans un avenir prévisible, un enjeu hautement prioritaire. Je suis sûr que les joueurs et les entraîneurs de couleur, qui sont au cœur de la question du racisme, seront d’accord avec moi. »
Candidat malheureux à la présidence de la FIFA, en mai 2015 et en février, le prince jordanien Ali ben Al-Hussein a, lui aussi, déploré la décision de l’instance planétaire, la jugeant « préoccupante, ridicule et honteuse » De son côté, la secrétaire générale de l’organisation, la Sénégalaise Fatma Samoura, a loué le travail du groupe de travail et « la politique de tolérance zéro » menée en matière de lutte contre le racisme. Contactée, la FIFA n’a pas donné suite aux sollicitations du Monde.