A Alger, des artistes redonnent vie aux friches industrielles d’un quartier populaire
A Alger, des artistes redonnent vie aux friches industrielles d’un quartier populaire
Par Zahra Chenaoui (contributrice Le Monde Afrique, Alger)
Une usine désaffectée, de la musique, du théâtre, du cinéma, des graffeurs et des jeunes : le collectif culturel Al-Medreb a posé ses cartons à Al-Hamma.
Al-Medreb, un événement culturel organisé à Al Hamma-Belcourt à Alger du 14 au 22 septembre 2016. | Bachir
Sur le mur du hangar, le portrait en noir et blanc de Mohamed Belouizdad, figure de la guerre d’indépendance, côtoie une fresque calligraphiée aux couleurs vives. Des enfants surexcités courent entre les piliers de béton tandis que deux jeunes filles voilées comparent les photos qu’elles viennent de prendre sur leur téléphone. Dans ce bâtiment désaffecté d’Al-Hamma, quartier populaire du centre-ville d’Alger, des pans de murs entiers se sont effondrés et du toit, il ne reste plus que quelques poutres métalliques.
C’est pourtant là que, pendant une semaine, du 14 au 22 septembre, les équipes d’Al-Medreb (« le lieu ») ont organisé des ateliers de théâtre, des performances de graff mais aussi des projections de films algériens et des concerts. « L’objectif du projet était de valoriser les friches industrielles inutilisées du quartier et d’en changer l’image », explique Ikram Hamdi Mansour, architecte de 24 ans et l’une des organisatrices.
« Pas d’espaces pour les jeunes »
Al-Medreb, un projet artistique lancé par de jeunes architectes et urbanistes algériens, a fait un pari : celui de prendre possession d’un hangar abandonné, de faire se rencontrer artistes et habitants, et de redonner vie à un quartier paralysé par les politiques d’urbanisme. « L’Etat ne réfléchit pas à créer des espaces pour les jeunes. Le projet Al-Medreb nous montre qu’on a la culture à portée de main, sans avoir besoin de payer l’entrée dans une salle fermée. Cela prouve aussi que des jeunes peuvent s’organiser entre eux et se réapproprier des espaces », explique Ilhem, 30 ans, qui travaille dans la communication.
Al-Medreb, un événement culturel organisé à AlHamma -Belcourt, à Alger, du 14 au 22 septembre 2016. | © Bachir
En cette fin septembre, les basses de la sono résonnent dans tout le voisinage. Les jeunes du Algerian Parkour Family, un collectif sportif, font une démonstration d’escalade urbaine, sur une bande-son d’El 3ou, un jeune musicien de 25 ans qui remixe les classiques de la chanson algérienne avec de la pop et de l’électro. Sur la scène, un homme au crâne rasé lance au micro : « Tahia Belouizdad ! Tahia Houmtna ! Vive Belouizdad ! Vive notre quartier ! » Kamel a toujours vécu ici. « Des animations comme ça, ça fait bouger nos jeunes et ça évite qu’ils boivent ou qu’ils se droguent. Mais il ne faut pas se leurrer, ils sont surtout venus pour voir les filles », lance-t-il en riant.
L’ambiance de fête a attiré les habitants du quartier. Djamel, la cinquantaine, polo de sport, et pantalon de survêtement, distribue des bonbons aux enfants. « C’est agréable et joyeux. Je fais la prière, hein, tient-il à préciser, mais c’est bien de s’amuser et de se rencontrer. » Comme lui, les habitants ont d’abord été surpris par ce qu’il se passait. « Pourquoi ils ont choisi notre quartier ? Ils n’avaient pas d’autres espaces ailleurs ? », demande, incrédule, un voisin au jeune homme qui surveille l’entrée. « L’effet de surprise n’a pas duré. Très rapidement, des gens sont venus nous aider à nettoyer, certains sont venus peindre avec moi », raconte Sneak, 26 ans, l’un des artistes graffeurs du projet.
Al-Medreb, un événement culturel organisé à Al-Hamma-Belcourt, à Alger, du 14 au 22 septembre 2016. Le but étant de réinvestir des espaces urbains abandonnés avec l’art du graffiti, de la danse, de la musique, du cinéma, du théâtre, et des rencontres. | Bachir
Zinou, la quarantaine, vit à Al-Hamma : « Si ce genre d’événement a du succès, c’est bien, parce que toute la zone de Belcourt [quartier populaire d’Alger] est délaissée. Al-Hamma, c’était un vrai quartier avant. Ils l’ont démoli pour faire un hôtel et ils l’ont tué. Peut-être parce que c’était un quartier contestataire », tente-t-il. Al-Medreb a organisé une table ronde sur les territoires en mutation, mais les élus locaux ne sont pas venus. « S’ils avaient été là, on aurait pu réfléchir à des avancées concrètes pour le quartier », regrette un participant.
Documenter la mémoire collective du quartier
Le travail sur la mémoire des lieux et du quartier est un autre objectif du projet. « Ici, autrefois, c’était un hangar pour les bus », se souvient en souriant, Omar, un voisin. « Nous avons conçu une carte du quartier à partir des archives remises par les habitants », raconte Louise Dib, graphiste qui participe au projet. Ce plan allie photos d’époque, dessins et histoires des lieux. « Le projet a fédéré les habitants. J’espère que maintenant des jeunes pourront rénover et animer un lieu abandonné », poursuit la jeune femme.
Dans le hangar, le spectacle d’escalade urbaine se termine en bataille d’eau, des filles font des selfies devant les fresques murales et des rappeurs du quartier ont pris place sur scène. Un peu avant 19 heures, la musique s’arrête, le public commence à quitter les lieux. Riadh, la trentaine, regarde autour de lui, un peu amer : « Dire que tout ça va être détruit ! » Le plan d’urbanisme Alger 2030 prévoit que le lieu sera rasé et remplacé par des tours. Al-Medreb compte bien lancer d’autres initiatives pour faire entrer la culture dans les quartiers d’Alger.