Le commerce de l’ivoire divise les pays africains
Le commerce de l’ivoire divise les pays africains
Par Sébastien Hervieu (Johannesburg, correspondance)
La Namibie et le Zimbabwe se sont vu interdire d’écouler leurs réserves de défenses confisquées ou prélevées sur des éléphants morts.
Le Zimbabwe et la Namibie ne pourront pas plus vendre à l’étranger leur ivoire confisqué lors de saisies ou prélevé sur des carcasses pour financer des programmes de protection. | MARCO LONGARI / AFP
Le Zimbabwe et la Namibie ne pourront pas vendre à l’étranger leur ivoire confisqué lors de saisies ou prélevé sur des carcasses pour financer des programmes de protection. Leur requête a été rejetée, lundi 3 octobre, par les pays réunis à Johannesburg pour la Convention internationale sur le commerce d’espèces sauvages menacées d’extinction (Cites).
La question du commerce de l’ivoire et des moyens de lutte contre le braconnage divise prodondément les pays africains. Le continent est impuissant à freiner le trafic en direction de l’Asie. L’Afrique ne compte plus qu’environ 415 000 pachydermes, soit 111 000 de moins qu’il y a une décennie, selon un rapport publié le 25 septembre par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Le commerce de l’ivoire est interdit depuis 1989, mais, en 1997 et 2000, la Cites avaient autorisé à titre exceptionnel le Botswana, la Namibie, l’Afrique du Sud et le Zimbabwe à vendre leurs stocks de défenses en Chine et au Japon.
« On ne peut plus attendre »
Cette fois, le Botswana, qui abrite le plus grand nombre d’éléphants sur le continent (35 %), s’est rangé à l’avis des nations de l’est et du centre du continent, dont les populations ont été décimées par le trafic. « Dans le passé, nous avons toujours soutenu des ventes occasionnelles d’ivoire, mais c’est fini car cela ne fait en réalité qu’alimenter la demande, a justifié le ministre botswanais de la vie sauvage, et frère du président, Tshekedi Khama. Les trafiquants commencent à venir chez nous, en Afrique australe, on ne peut plus attendre, il faut envoyer un signal clair qu’il n’y a pas de commerce d’ivoire possible, qu’il soit légal ou illégal. »
A l’inverse, tous les autres pays du sud de l’Afrique plaidaient pour un assouplissement des règles de commercialisation. « Chez nous, il y a beaucoup d’éléphants, et c’est une décision injuste, car nous avons besoin de l’argent de la vente pour financer la protection des animaux et aider nos communautés locales », a expliqué Oppah Muchinguri, la ministre de l’environnement du Zimbabwe, avant de dénoncer l’influence occidentale : « Les ONG des pays riches n’ont pas à nous dire ce que nous devons faire avec nos éléphants, et si le Kenya ou d’autres pays africains veulent qu’on leur montre comment mieux protéger les leurs, on le fera avec plaisir ! »
Le Zimbabwe, l’Afrique du Sud et la Namibie ont toutefois réussi à empêcher la Cites de classer de nouveau leurs populations d’éléphants, ainsi que celle du Botswana, en annexe I, qui interdit le commerce international des espèces les plus menacées. Ils resteront à l’annexe II, qui autorise en le réglementant le commerce. Lors de ce vote, ils ont reçu le soutien des Etats-Unis et de l’Union européenne, même si la France comme le Luxembourg avaient exprimé en amont un désaccord avec leurs collègues européens.
Pour la Coalition pour l’éléphant d’Afrique (CEA), qui regroupe 29 Etats africains, l’interdiction du commerce d’ivoire pour tous les pays est un préalable indispensable pour lutter efficacement contre le braconnage. « Il faut que l’on tire tous dans le même sens, sinon les trafiquants continueront à s’engouffrer dans les brèches, l’Union africaine doit se saisir de cette question pour obtenir une position commune », juge le Kényan Patrick Omondi, coprésident de la CEA.
Renforcement de la lutte contre le trafic illégal
Pour parvenir à une baisse drastique de la demande, il est aussi nécessaire d’aller vers une interdiction des marchés intérieurs pour l’ivoire. Une recommandation a été adoptée en ce sens par les membres de la Cites. « C’est une question-clé, considère Céline Sissler-Bienvenu, du Fonds international pour la protection des animaux (IFAW). Tant qu’ils existeront, vous offrirez la possibilité aux braconniers de blanchir l’ivoire, car il est difficile de distinguer l’ivoire légal de l’ivoire illégal. » La militante salue les récents efforts de la Chine, premier consommateur de produits faits en ivoire : « Le président Xi Jinping fait preuve de volonté politique sur ce sujet, c’est ce qu’il faut pour que les campagnes de sensibilisation auprès de la population pour réduire la demande soient réellement efficaces. »
Autre avancée de la Cites : le renforcement de la lutte contre le trafic illégal. « Lors de la dernière conférence à Bangkok en 2013, des plans d’action nationale avaient été adoptés par dix-neuf pays en Afrique et en Asie », rappelle Stéphane Ringuet, de WWF. « Cette fois-ci, on a été plus loin, juge-t-il. Par exemple, des experts indépendants pourront désormais évaluer les progrès faits par chaque pays dans sa lutte contre la fraude et la corruption des officiels. »
Expert des éléphants pour le programme Traffic (un réseau mondial de surveillance de la vie sauvage créé par WWF et l’UICN), Tom Milliken, un Américain qui vit au Zimbabwe, regrette toutefois « l’absence d’une brigade de Sherlock Holmes qui remonteraient les filières à travers le monde entier ». A plus long terme, il estime indispensable la recherche d’un mécanisme de financement permanent pour protéger durablement les éléphants d’Afrique.