Comment Alger protège le djihadiste Iyad Ag-Ghali avec l’aide de Paris
Comment Alger protège le djihadiste Iyad Ag-Ghali avec l’aide de Paris
Par Seidik Abba (chroniqueur Le Monde Afrique)
Notre chroniqueur décrypte comment les services français ont renoncé à « neutraliser » le chef du mouvement djihadiste malien Ansar Eddine en 2014.
C’est un geste de courtoisie diplomatique et militaire dont on se souviendra longtemps au ministère français de la défense. En 2014, alors qu’elle avait Iyad Ag-Ghali, chef du mouvement djihadiste malien Ansar Eddine à portée de fusil, la France a choisi de prendre l’avis d’Alger avant d’agir, plutôt que de le « neutraliser » ou de le capturer vivant.
Pas si peu fiers de cette marque de considération, les Algériens envoient à Paris un message aussi clair que l’eau de roche : « Ne vous occupez pas d’Iyad. Nous en faisons notre affaire. »
On connaît bien la suite de cette consultation franco-algérienne : Iyad Ag-Ghali en a tiré profit pour disparaître des écrans radar. Mieux, le chef djihadiste a reconstitué Ansar Eddine, sorti, comme tous les autres mouvements djihadistes, du Sahel, zone déstabilisée par l’opération militaire française « Serval » de janvier 2013.
A la tête d’une « katiba »
A la différence des autres figures emblématiques du djihad sahélien importés d’Algérie, tels Mokhtar Belmokhtar ou feu Abou Zeid, Iyad Ag-Ghali est un notable touareg malien. Il a pu ainsi se servir de cette qualité d’autochtone pour élargir la base de recrutement de ses combattants au-delà de la seule communauté touareg. Résultat : on trouve aujourd’hui encore dans les rangs d’Ansar Eddine, non seulement des djihadistes étrangers, mais aussi des ressortissants maliens appartenant à différents groupes ethnolinguistiques tels que les Bambara, les Peuls, les Soninké.
Amadou Koufa, le leader du Front de libération du Macina (FLM), tout dernier-né des groupes djihadistes maliens, implanté dans la région de Mopti, au centre du pays, fut d’ailleurs un prédicateur proche du chef d’Ansar Eddine. Dans sa stratégie de reconstitution de son mouvement, qui n’est en réalité qu’une sorte de katiba d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), Iyad Ag-Ghali a également pu compter sur ses contacts pour s’approvisionner en Libye, pays devenu une sorte de supermarché à ciel ouvert d’où partent toutes sortes d’armes et de munitions en circulation dans la bande sahélo-saharienne.
Selon l’ambassadeur de Libye à Paris, Alshiabani Abuhamoud – qui représente le gouvernement de Faïz Serradj – pas moins de 20 millions de munitions de toutes fabrications ont été sorties des magasins après la chute de Mouammar Kadhafi, en 2011. Si certains stocks sont restés en Libye, d’autres, en revanche, ont pris le chemin de l’étranger pour se retrouver dans les mains des groupes djihadistes, de Boko Haram à Ansar Eddine, en passant par le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao).
Ensemble, l’enrôlement de nouvelles recrues issues des communautés locales et le circuit d’approvisionnement en armes à partir de la Libye expliquent le retour en force d’Iyad Ag-Ghali sur le théâtre djihadiste malien.
Assurance-vie tribale
En dépit de la montée en puissance de la capacité de nuisance d’Ansar Eddine, le cas Iyad Ag-Ghali ne semble être la priorité ni de la France ni de l’Algérie. Encore moins du Mali, confronté à d’autres urgences. Occupés à pourchasser Mokhtar Belmokhtar, auteur de la spectaculaire attaque du site gazier d’In-Amenas en janvier 2013, les Algériens ne se préoccupent pas du chef d’Ansar Eddine, tant qu’il reste sévir au Mali. Pour des raisons différentes, celui que le spécialiste des mouvements djihadistes au Sahel, Lemine Ould Salem, présente comme un immense poète et un grand amateur de musique converti au salafisme rigoureux, n’est pas dans le viseur des forces et des services de renseignement français. En effet, à Paris on s’en tient toujours à la promesse de 2014 de l’Algérie, interlocuteur incontournable pour gagner la plus petite guerre au Sahel, de s’occuper du « cas Iyad ». Avec cette posture, Paris évite de froisser Alger, qui lui avait accordé d’énormes facilités aux premiers jours de « Serval », dont l’approvisionnement en carburant et en produits d’intendance (eau, nourriture…) des forces françaises basées sur la frontière algéro-malienne.
Mais, au-delà des considérations d’agendas cachés des uns et des autres, Iyad Ag-Ghali est un notable touareg appartenant à la puissante tribu des Ifoghas qui vit à cheval entre le Mali, le Niger et l’Algérie. Les Ifoghas ont pris une part active dans la libération des derniers otages français au Sahel (2013 et 2015), tout comme dans celle des diplomates algériens enlevés en avril 2012, au tout début de l’occupation du nord du Mali par les groupes djihadistes. Paris et Alger n’ont donc aucun intérêt à se mettre ces Touaregs-là à dos.
Bien qu’il se soit totalement investi dans le djihad sur fond d’idéologie salafiste extrémiste, Iyad Ag-Ghali est toujours considéré par sa communauté comme l’un des siens, qu’elle n’a pas perdu espoir de ramener à la raison. Il n’est d’ailleurs un secret pour personne que le chef d’Ansar Eddine continue de jouir d’une certaine estime de la part de plusieurs dirigeants de la rébellion armée signataires de l’accord de sortie de la crise au nord du Mali, officialisé en février 2015 à Alger.
Lemine Ould Salem, auteur de Le Ben Laden du Sahel : sur les traces du djihadiste Mokhtar Belmokhtar, décrypte : « Le statut de chef traditionnel d’Iyad Ag-Ghali peut expliquer la bienveillance dont il jouit encore. Certains se disent là-bas que les choses vont finir par se tasser, on trouvera alors le moyen de récupérer Iyad. »
En attendant son retour dans les rangs, Iyad Ag-Ghali se balade entre la frontière algéro-malienne et le nord du Mali qu’il arpente depuis la première rébellion touareg des années 1980.
Seidik Abba est journaliste et écrivain, auteur d’Entretiens avec Boubakar Ba, un Nigérien au destin exceptionnel, (éd. L’Harmattan, 2015).