Tensions à Srebrenica alors qu’un Serbe pourrait devenir maire
Tensions à Srebrenica alors qu’un Serbe pourrait devenir maire
Par Jean-Baptiste Chastand
Mladen Grujicic, le candidat du parti nationaliste serbe, a proclamé sa victoire, alors que le maire bosniaque sortant, Camil Durakovic, compte sur le dépouillement des votes par correspondance pour l’emporter.
Mladen Grujicic, le candidat du parti nationaliste serbe, le 2 octobre à Srebrenica | ELVIS BARUKCIC / AFP
Vingt-et-un ans après le massacre de Srebrenica, qui a fait près de 8 000 morts chez les Bosniaques musulmans de la ville en juillet 1995, un Serbe pourrait-il diriger la mairie ? A l’issue des municipales organisées dimanche 2 octobre en Bosnie, Mladen Grujicic, le candidat du parti nationaliste serbe, est en tout cas en bonne position pour l’emporter, selon des résultats préliminaires publiés lundi par la commission électorale.
Signe de la sensibilité potentielle de cette victoire, les opérations de comptage ont toutefois été suspendues mercredi après la découverte par M. Grujicic de « matériels de vote » dans des poubelles de la ville. A la suite de cette découverte, la police de la République serbe de Bosnie – une des deux entités qui constitue le pays depuis les accords de paix de Dayton en 1995 – est intervenue dans les locaux de la commission électorale. Celle-ci a alors immédiatement suspendu ses travaux.
Si M. Grujicic a proclamé sa victoire, son adversaire, le maire bosniaque actuel, Camil Durakovic, compte toujours sur le dépouillement des votes par correspondance pour l’emporter. Même si un Serbe avait déjà dirigé la ville entre 1995 et 1999, une défaite de M. Durakovic serait un choc pour nombre de survivants. « Avoir un maire bosniaque à Srebrenica est le minimum qu’on pouvait avoir après le génocide », explique ainsi Hasan Nuhanovic, ancien traducteur pour les casques bleus et qui a perdu son père, sa mère et son frère dans le massacre.
Ce résultat ne serait toutefois pas complètement surprenant. Depuis 1995, la population musulmane a chuté dans cette enclave située dans l’entité serbe, par ailleurs en pleine crise économique. Ils n’étaient plus que 7 248, selon le recensement de 2013, à peine plus que le nombre de Serbes, alors que la municipalité affichait 27 000 habitants musulmans avant la guerre.
Le poids de la diaspora
Lors des dernières municipales de 2012, un Serbe avait déjà failli l’emporter, mais les votes de nombreux Bosniaques partis ailleurs en Bosnie ou à l’étranger tout en restant inscrits sur les listes à Srebrenica avaient permis de renverser la tendance. « Mais l’inscription sur les listes a été rendue plus compliquée », regrette M. Nuhanovic, qui a lui-même dû voter cette fois-ci à Sarajevo – la ville où il habite. Il en veut aussi aux Bosniaques de la diaspora, « qui viennent ici l’été, mais qui ne s’y intéressent plus quand ils sont repartis. Ils devraient nous aider à reconstruire et voter ! »
Camil Durakovic, maire bosniaque sortant de Srebrenica, le 2 octobre. | ELVIS BARUKCIC / AFP
M. Grujicic a promis qu’en cas de victoire, il participerait aux commémorations annuelles du massacre, organisées le 11 juillet, même s’il refuse d’employer le terme de « génocide », pourtant retenu par la justice internationale. « Les crimes ont été commis ici contre les deux communautés. Vivra-t-on mieux à Srebrenica si je dis que c’était un génocide ? », a-t-il déclaré à l’Agence France-Presse avant le scrutin. « Ces résultats montrent que la Bosnie devient toujours plus homogène ethniquement », constate de son côté le politologue Adnan Huskic. « Même les partis bosniaques ne s’intéressent plus aux leurs, dans les zones où ils sont minoritaires », regrette-t-il.
Les résultats définitifs ne devraient toutefois pas être connus avant plusieurs semaines, alors que le scrutin a été marqué par des fraudes dans plusieurs communes du pays et que les résultats se font attendre un peu partout. A Mostar, l’autre ville symbole du conflit, il n’a même pas pu avoir lieu, faute d’accord sur l’organisation du vote, cette fois-ci entre les communautés croates et bosniaques. De quoi confirmer l’adage bosnien, qui veut que dans le pays, « les élections se jouent après la fermeture des bureaux de vote ».