Un Nobel pour les Colombiens
Un Nobel pour les Colombiens
Editorial. En récompensant le président Juan Manuel Santos, les sages d’Oslo ont voulu donner un coup de pouce à l’accord de paix avec les FARC, au lendemain de la victoire du non au référendum.
Le président colombien Juan Manuel Santos, le 7 octobre, à Bogota. | JUAN DAVID TENA / AFP
Editorial du « Monde ». Le prix Nobel de la paix est toujours politique, plus que son jury ne voudra jamais l’avouer. Il n’y a là rien que de très naturel : la guerre, la paix, la violence, le pardon – affaires éminemment politiques. Cette année, les sages d’Oslo pouvaient couronner un groupe de femmes et d’hommes admirables, ces casques blancs syriens bravant les bombes pour aller secourir une population civile qui est expressément visée dans les massacres en cours. Ils pouvaient aussi saluer l’homme qui, plus que tout autre, s’est battu pour mettre un terme à l’une des plus vieilles et des plus cruelles guérillas au monde : l’actuel président colombien, Juan Manuel Santos.
C’est lui qu’ils ont choisi, choix tout à fait louable et justifié. Mais le jury d’Oslo a d’autant mieux fait que la paix obtenue par M. Santos entre l’Etat colombien et la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, spécialistes en trafic de drogue, extorsion de fonds et enlèvements, le tout emballé dans une vieille logorrhée marxiste-léniniste) est menacée. Les sages se sont objectivement immiscés dans la vie politique colombienne. Ils ont voulu donner un coup de pouce au président Santos, au lendemain d’un référendum qui lui a été défavorable. Le jury honore un homme qui se trouve en difficulté, à Bogota, pour donner corps à l’accord de paix signé le 26 septembre après quatre ans de dures négociations avec les FARC.
Et le jury a eu bien raison. Car l’enjeu est énorme. Cette guérilla des FARC – qui a martyrisé la Colombie, même si la contre-offensive n’a pas été exempte d’horreurs non plus – sévit depuis près d’un demi-siècle. Elle est une tache sanglante dans l’histoire moderne d’un pays qui, en dépit de ce cancer, a montré un remarquable dynamisme économique et culturel.
Intention éminemment politique
Il faut sauver l’accord du 26 septembre, telle a été la motivation du jury d’Oslo, qui ne s’est aucunement caché de cette intention éminemment politique. « Il y a un vrai danger que le processus de paix s’interrompe et que la guerre civile reprenne, (…) il faut encourager tous les acteurs » de cette affaire, a dit la présidente du jury, Kaci Kullmann Five. « Tous les acteurs », cela veut dire M. Santos, bien sûr, mais plus encore son adversaire politique du moment, l’ancien président Alvaro Uribe, dont il fut le ministre de la défense avant d’être élu à la tête de l’Etat en 2010.
Aujourd’hui sénateur, le versatile M. Uribe guigne à nouveau la présidence, pour le scrutin de 2018, et a pris la tête de la campagne pour le no au référendum tenu le 2 octobre en Colombie et destiné à entériner l’accord de paix du 26 septembre. Et, contrairement à ce qu’il pensait, M. Uribe a « gagné » : le non l’a emporté (50,2 %, avec un taux d’abstention de 62,6 %). Les « nonistes » dénoncent un accord qui ferait la part trop belle aux FARC, épargnant notamment la prison à leurs chefs, et est rédigé dans un galimatias progressiste qui a mobilisé, contre lui, l’Eglise catholique (elle n’a pas appelé à voter) et, plus encore, les pasteurs évangéliques de toute la Colombie (ils ont appelé au non).
Conclu fin août, le cessez-le-feu tient. Les FARC ont redit leur confiance dans l’accord. M. Santos discute avec les nonistes. Les conversations doivent reprendre entre FARC et gouvernement. La bonne volonté est du côté de M. Santos, même s’il n’entend pas renégocier l’ensemble de l’accord. Au bon moment, il reçoit un coup de pouce venu du froid.