En Afrique, la dette pourrait faire dérailler les trains chinois
En Afrique, la dette pourrait faire dérailler les trains chinois
Par Sébastien Le Belzic (chroniqueur Le Monde Afrique, Hongkong)
Grands travaux, dette et croissance économique : la « recette » chinoise de développement s’impose sur le continent. Mais à quel prix ?
Après quatre ans de travaux, l’Ethiopie a inauguré au début du mois d’octobre une ligne ferroviaire entre Addis-Abeba et Djibouti. Construite par la Chine, cette nouvelle liaison doit permettre de désenclaver l’économie éthiopienne en lui ouvrant, notamment, une porte sur la mer Rouge. Un chantier de 3,4 milliards de dollars (3 milliards d’euros), financé à 70 % par la banque chinoise Exim.
A bord du nouveau train qui relie Addis-Abeba à Djibouti
Durée : 02:15
En septembre, le Kenya a approuvé, de son côté, la deuxième phase des travaux de la liaison Nairobi-Mombasa : un contrat de 1,5 milliard de dollars (1,3 milliard d’euros) financé, là encore, par la Chine et construit par la China Road and Bridge Corporation (CRBC). Une grande entreprise publique qui compte vingt-deux bureaux sur le continent africain.
CRBC est une filiale du géant chinois du transport ferroviaire China Railway Construction Corporation (CRCC). Toutes deux sont placées sous le contrôle du conseil d’Etat chinois. Ces grands travaux financés à coups d’emprunts pèsent aujourd’hui dangereusement sur les finances publiques.
Une augmentation de 657 %
La dette du Kenya a presque doublé entre 2011 et 2015, passant de 2,85 milliards de dollars (2,5 milliards d’euros) à près de 5 milliards (4,5 milliards d’euros). Les prêts chinois ont augmenté de 657 % pendant cette période, passant loin devant les financements japonais, allemands et français.
« La plupart des pays africains, dont l’Ethiopie et le Kenya, sont aujourd’hui criblés de dettes. La baisse des cours des matières premières ne permet plus à des pays comme l’Angola par exemple de rembourser leurs dettes. C’est très inquiétant », note le journaliste Eric Olander sur son blog.
Ces recours grandissants aux prêts et aux émissions obligataires font ressurgir le spectre de la dette en Afrique, qui semblait pourtant éloigné depuis les mesures d’allégement des années 2000. « Nous devons faire en sorte de ne pas retomber dans le piège de la dette », lance Akinwumi Adesina, le président de la Banque africaine de développement.
Cette dégradation est d’autant plus inattendue que la dette de trente pays africains avait été allégée massivement entre 2000 et 2014, dans le cadre de l’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE), ramenant, selon une étude du Trésor français, leur dette publique extérieure en moyenne de 119 % du PIB à 33 %, en contrepartie de réformes d’inspiration libérale.
Libéré sous condition d’une bonne partie de ce fardeau, chaque Etat a disposé d’une marge de manœuvre budgétaire plus large qui lui a permis d’accélérer la croissance. La Chine s’est engouffrée dans la brèche.
Un tiers des liquidités de la planète
Selon un rapport du cabinet Deloitte, le nombre de projets financés par la Chine en Afrique a augmenté de 17 % entre 2014 et 2015 ; 37 % des projets concernent le secteur des transports. Les pays africains ont en effet bénéficié de conditions de financement très favorables de la banque Exim.
Placée sous la double tutelle du ministère du commerce et de celui des affaires étrangères, la Banque chinoise d’import-export profite des 3 500 milliards d’euros de réserves en devises chinoises (soit un tiers des liquidités de la planète) et se positionne comme le bras financier de la diplomatie chinoise, où rien ne se décide sans l’aval du gouvernement.
Le cas d’Exim est à ce titre très révélateur des pratiques de cette Chinafrique qui mêle diplomatie, développement et commerce. Tous les pays qui entretiennent de bonnes relations diplomatiques avec la Chine se voient offrir une aide et des prêts à taux zéro. Autant les prêts à taux zéro sont comptabilisés comme faisant partie de l’aide au développement, autant les prêts d’Exim ne le sont pas. Ce sont pourtant des prêts dont les taux d’intérêt, généralement très bas, sont aidés par le ministère des finances qui prend à sa charge la différence entre le taux fixe proposé par la banque et le coût réel supporté par Exim.
Le chantier de la nouvelle gare d’Addis-Abeba, en Ethiopie, en septembre 2013. | © Stringer . / Reuters
Un fonds commun d’un milliard de dollars
Plus de 90 % des grands travaux en Afrique sont ainsi financés par la banque Exim et les liens ne cessent de se renforcer. Ainsi, l’Exim et l’Afreximbank (la banque africaine d’import-export) ont créé cet été un fonds commun d’un milliard de dollars pour financer des projets de développement en Afrique.
La Chine est ainsi devenue en quelques années le banquier d’une grande partie du continent. Mais à quel prix ? L’aide de la Chine s’accompagne en effet souvent du recours à sa propre main-d’œuvre et à sa propre technologie. La plupart des crédits consentis par Pékin comportent une clause prévoyant qu’au minimum la moitié des travaux soit effectuée par des entreprises chinoises.
Mais cette politique de grands travaux financés par l’endettement n’est pas forcément négative. D’abord, les pays africains restent moins endettés que nombre de pays riches et ont grand besoin de ces nouvelles infrastructures. « La dette publique totale de l’Afrique atteignait 38 % du PIB continental en 2014, contre près de 111 % pour les pays de l’OCDE », rappelle le secrétaire exécutif de la commission économique de l’ONU sur l’Afrique, Carlos Lopes.
Une vitrine de la technologie chinoise sur le continent
Le premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn estime que cette ligne ferroviaire « va accélérer la croissance de l’industrie manufacturière éthiopienne, tout en donnant des opportunités d’emplois » aux Ethiopiens.
Cette nouvelle ligne est aussi une vitrine de la technologie chinoise sur le continent. Le Quotidien du peuple, l’organe officiel du Parti communiste chinois, parle de transfert de technologie et de croissance économique. La Chine finançant indirectement ses propres entreprises pour remporter des marchés à l’international et imposer ses normes sur le continent. Des pratiques déjà expérimentées par la plupart des pays occidentaux en Afrique, mais aussi par le Japon et la Corée du Sud.
Ce modèle « croissance contre dettes » n’est pas inconnu en Chine où, depuis trente ans, la République populaire finance ses champions nationaux souvent à perte. Le Chinois CRCC est ainsi surendetté : 600 milliards de dettes pour l’entreprise chinoise, soit deux fois plus que la Grèce ! Athènes est endettée à hauteur de 177 % de son PIB, contre 250 % pour la Chine.
Normes, détérioration et corruption
« Mais qui va payer la note ?, s’interroge l’analyste David Barissa, du cabinet African Executives. Financer des projets de méga-infrastructures est la raison officielle des emprunts, mais la vérité est que tout n’est pas investi dans des projets constructifs [pour les Africains]. Une partie des sommes finit par se retrouver dans les poches de quelques individus corrompus. »
Pour profiter pleinement de ces crédits chinois et pouvoir régler l’addition, l’Afrique devra donc absolument faire un peu de ménage. L’ONG ICTSD recommande ainsi de tirer les leçons des échecs de la Chine sur son propre territoire : « Des accidents sur les routes et les voies ferrées chinoises ont attiré l’attention des Chinois et de la communauté internationale sur l’exigence de normes et sur la qualité des projets de construction en Chine. Bien que Pékin ait entrepris des réformes dans l’amélioration de la qualité et dans le système d’appels d’offres public, de nombreux problèmes subsistent », note, dans son rapport, Daouda Cissé, de l’université sud-africaine Stellenbosch. Il pointe les normes de construction non conventionnelles des chantiers chinois, la détérioration rapide des infrastructures et la corruption.