Pourquoi les Wallons bloquent le CETA
Pourquoi les Wallons bloquent le CETA
Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen), Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)
Les députés veulent davantage de garanties sur la portée de ce texte, dont ils craignent les conséquences sur l’agriculture, les normes sociales et environnementales.
Manifestation contre les traités Tafta et CETA, le 15 octobre, à Paris. | FRANCOIS GUILLOT / AFP
Les Européens ont moins de deux semaines pour tenir le calendrier fixé et approuver le CETA, l’accord commercial entre l’Union européenne et le Canada. Y arriveront-ils ? Les récents votes de députés francophones belges et les critiques qui enflent en Europe ont grippé la mécanique, au point que le premier ministre canadien, Justin Trudeau, s’est ouvertement interrogé, jeudi 13 octobre, sur les capacités de l’Europe à négocier des traités semblables dans les années à venir.
- Que réclament les députés belges pour avaliser le CETA ?
Deux parlements régionaux francophones ont voté contre le projet d’accord la semaine dernière. Les députés de Wallonie ont dit non vendredi 14 octobre, mais « ce n’est pas un veto définitif ou un enterrement », a dit le ministre président, Paul Magnette (PS). Son assemblée réclame une renégociation, ou du moins une « déclaration interprétative » (sorte d’explication de texte) dotée de garanties juridiques précises, article par article.
Les Wallons s’inquiètent pour l’avenir de leur agriculture, de leurs normes sociales et environnementales, du rôle des pouvoirs publics, que d’autres traités pourraient menacer à l’avenir. Une majorité d’entre eux s’oppose d’ailleurs au TTIP négocié avec les Etats-Unis.
M. Magnette est allé, vendredi soir, rechercher le soutien éventuel de François Hollande à l’Elysée. « Les Français ont envie que les choses aboutissent et s’ils peuvent nous aider, je crois qu’ils le feront », expliquait-il prudemment au Monde, dimanche. Une réunion entre la Commission européenne et les différents niveaux de pouvoir belges a eu lieu durant le week-end. Une nouvelle version de la déclaration interprétative pourrait être rédigée, à débattre ensuite avec Ottawa. Suffisant ? Le temps presse, en tout cas :mardi 18 octobre, les ministres européens du commerce doivent se réunir à Luxembourg pour mettre en chantier la signature du CETA…
- L’opposition belge peut-elle bloquer la ratification à 28 ?
Compte tenu de l’organisation du système fédéral, le gouvernement du libéral Charles Michel ne peut, en théorie, passer outre. Sauf à provoquer une grave crise interne ou à accepter une mise en œuvre seulement provisoire et partielle du texte, tout aussi problématique.
Le CETA étant un traité négocié entre les 28 Etats de l’Union et le Canada, il ne peut entrer en vigueur dans son intégralité qu’après l’adoption à l’unanimité des 28 dirigeants européens et par le premier ministre canadien. Il doit ensuite obtenir le feu vert du Parlement européen et de tous les parlements nationaux des Vingt-Huit. Les gouvernements de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont eux décidé, pour la première fois, d’impliquer leur parlement dès le début du processus. D’où un examen beaucoup plus attentif que dans d’autres pays du contenu exact d’un texte de 1 600 pages, dont la version finale n’a été dévoilée qu’en février.
- Pourquoi ce traité de libre-échange suscite-t-il de telles réticences ?
Le CETA a été conclu entre la Commission (mandatée par les Vingt-Huit) et Ottawa en septembre 2014, à l’issue de cinq ans de négociations. Tardive, la mobilisation est désormais impressionnante : en France, la fondation Nicolas Hulot, l’extrême gauche et une partie de la gauche dénoncent un « cheval de Troie » du TTIP, le traité de libre-échange avec les Etats-Unis. La contestation est tout aussi intense en Allemagne (même si la Cour constitutionnelle allemande vient d’autoriser – avec des réserves – le gouvernement allemand à ratifier le CETA) et en Autriche, où le chancelier Christian Kern a exprimé des réticences.
Les opposants au CETA sont motivés à au moins deux titres. Beaucoup refusent les accords de libre-échange par principe, considérant qu’ils détruisent plus d’emplois qu’ils n’en créent, qu’ils menacent trop les services publics et les normes environnementales, sanitaires ou sociales européennes. D’autres s’inquiètent du contenu même du CETA, les agriculteurs, notamment, redoutant que les multinationales américaines de l’agroalimentaire ayant un siège au Canada profitent de l’accord pour mieux pénétrer les marchés européens et les inonder, notamment, de viande aux hormones ou de poulets chlorés.
- Pourquoi la Commission et l’essentiel des dirigeants européens tiennent-ils au CETA ?
Un échec du CETA découragerait peut-être les Japonais, entrés en discussion avec l’Europe pour un accord d’envergure en 2013. Mais aussi les Vietnamiens, les Mexicains et d’autres. Bruxelles mène actuellement une vingtaine de négociations de front.
L’incapacité des Européens à se mettre d’accord sur les sujets commerciaux augurerait mal, par ailleurs, de la future négociation des nouvelles relations entre le Royaume-Uni et le reste de l’Union, une fois le Brexit acté.
A Bruxelles, la Commission européenne est d’autant plus inquiète qu’elle est persuadée – et avec elle, une large proportion des sociaux-démocrates et l’ensemble des conservateurs européens, sauf les francophones belges – que le CETA est un « très bon accord ».
Sur le papier, il ménage un accès aux marchés publics canadiens, acte la reconnaissance par Ottawa de 143indications géographiques protégées (l’équivalent de l’AOP en France) – mais zéro wallonnes… – et propose un système de règlement des différends entreEtats et multinationales, avec des tribunaux d’arbitragecensés garantir la capacité de légiférer des Etats.