Le vote des Américains peut-il influencer, dans dix mois, celui des dignitaires et anciens sportifs membres du Comité international olympique (CIO), lors de l’élection de la ville organisatrice des Jeux de 2024 ? Pour certains observateurs du monde olympique, l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis pourrait être un mauvais coup porté à la candidature de Los Angeles, favorite du scrutin avec Paris, loin devant la troisième prétendante, Budapest. Et la candidature parisienne se frotte les mains après ce qui pourrait être un premier accroc pour le projet californien, soutenu par une grande majorité de la population locale et qui ne nécessite presque aucune construction d’équipement.

Dans cet univers à la fois policé, diplomate, multiculturel et soucieux de stabilité qu’est le CIO, l’outrance de Donald Trump est susceptible de détourner certains votes de la candidature américaine. « C’est un très mauvais coup pour eux, qui va défaire tout le travail fourni par le comité olympique américain afin de changer la perception des Etats-Unis dans le monde olympique », résume un lobbyiste du milieu.

« Tout leur projet était bâti autour d’Hillary Clinton, ils avaient mis tous leurs œufs dans le même panier. On connaît aussi l’image de Donald Trump à l’international : il a insulté les hispaniques, les musulmans, les femmes. Il suffit de regarder la composition du CIO pour comprendre que cela peut leur poser un problème », estime une source proche de Paris 2024.

« Il a effrayé beaucoup de monde »

Membre du CIO depuis 2006, l’ancienne nageuse des Antilles néerlandaises Nicole Hoevertsz soulignait, avant l’élection, que la rhétorique du candidat Trump « anti-étrangers, anti-musulmans et contre tout groupe de personnes ou tout individu qui ne lui plaît pas ne donne pas une image accueillante des Etats-Unis ».

Au site spécialisé Around the Rings, l’expérimenté Norvégien Gerhard Heiberg, membre du CIP depuis une vingtaine d’années, confiait mardi : « Beaucoup d’entre nous avons le sentiment de connaître Hillary Clinton et son intérêt pour les Jeux olympiques (elle a déjà assisté à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques comme Première Dame et soutenu la candidature de New York aux JO 2012 comme sénatrice, ndlr). Donald Trump, c’est une autre histoire, au moins pour le moment. Je pense qu’il a effrayé beaucoup de monde par la manière dont il s’exprime. »

Donald Trump est peu apprécié dans les milieux sportifs américains et ne s’est pas manifesté sur Twitter pendant les JO de Rio malgré les innombrables succès américains. La seule fois où il a fait référence aux Jeux pendant la campagne, ce fut pour moquer l’inefficacité de la présence de Barack Obama à Copenhague en 2009 pour soutenir la candidature de Chicago à l’organisation des JO 2016.

En 2004, toutefois, avant les JO d’Athènes, le magnat de l’immobilier avait été trop heureux de passer devant la Trump Tower, flamme olympique en main, sur la Ve Avenue de New York.

Donald Trump porte la flamme olympique à New York, sur la Ve Avenue. | CHAD RACHMAN / AFP

Los Angeles 2024, une candidature démocrate

Les dirigeants de Los Angeles 2024 avaient, ces derniers mois, du mal à cacher leur inquiétude. La semaine précédant l’élection, un membre de la candidature confiait à USA Today que la victoire de M. Trump constituerait une « catastrophe » de magnitude 8,5 à 9 pour les chances de Los Angeles. En marge des Jeux de Rio, le maire de la capitale californienne Eric Garcetti avait confié à Associated Press : « Je pense que certains membres du CIO se diraient : “Attendez, peut-on aller dans un pays comme ça, où l’on entend des choses aussi choquantes” ? », reconnaissait-il.

L’édile démocrate demandait d’attendre le résultat de l’élection, qui penchait alors en faveur d’Hillary Clinton : « Je ne crois pas que l’on puisse juger un pays en fonction de ses candidats à la présidentielle. Je pense qu’il faut juger un pays en fonction de son président, de ses convictions et de sa politique. Et clairement, c’est quelque chose que les membres du CIO prendront en compte. Mais c’est quelque chose que je ne contrôle pas. »

Il ne faut toutefois pas négliger la part de jeu politique dans les déclarations alarmistes, publiques et hors micro, des dirigeants de la campagne de Los Angeles 2024 : le maire de Los Angeles est une valeur montante du Parti démocrate et le directeur de la campagne Casey Wassermann est un proche de Bill Clinton.

Les deux hommes avaient tout intérêt à la victoire de l’ex-secrétaire d’Etat, à la fois personnellement et pour les chances de Los Angeles. Ils tenteront maintenant de distancer leur candidature de la Maison blanche, et ce d’autant plus facilement que Donald Trump risque de ne faire aucun effort pour faciliter la tâche d’une candidature menée par des démocrates et qui est tout en bas de la liste de ses priorités politiques.

Paris 2024 a le soutien total des politiques

Depuis la défaite de Paris 2012 face à Londres, il y a onze ans, l’olympisme français connaît le poids des entretiens de dernière minute des chefs d’Etat avec les électeurs du CIO. A Singapour, le discours et les entretiens individuels de Tony Blair avaient convaincu les derniers indécis, tandis que la désinvolture de Jacques Chirac − et une blague sur la gastronomie finlandaise − avait pu rebuter des électeurs favorables à la candidature parisienne. L’implication personnelle de Vladimir Poutine et de Lula ont aussi poussé le CIO à choisir Sotchi 2014 et Rio 2016.

Cette fois, la classe politique fait, jusqu’à présent, bloc derrière la candidature parisienne, et Paris 2024 n’aura de cesse ces prochains mois de mettre en avant la stabilité de sa candidature et le soutien transpartisan dont elle bénéficie − le Parti socialiste, Les Républicains et le Front national y sont favorables.

Mais à Lima, le 12 septembre 2017, l’absence ou, pire pour Los Angeles, la présence de Donald Trump ne seront qu’un élément parmi d’autres de l’équation : les membres du CIO votent aussi et surtout en faveur du projet qui leur rapportera le plus, à eux personnellement, à leur pays ou à leur sport.