La victoire surprise de Donald Trump, au-delà de ce qu’elle nous dit de l’Amérique, révèle un danger pour nos sociétés. Un danger qui, face à l’incapacité des élites politiques à prendre à bras-le-corps les préoccupations des laissés-pour-compte, nous expose à la montée de populismes nocifs pour la cohésion sociale.

L’angoisse d’une bonne partie des Américains qui a permis d’adhérer au discours extrémiste de Trump est similaire à celle vécue par une majorité de citoyens dans les pays africains. Ces derniers observent eux aussi l’accaparement des richesses communes par une caste de privilégiés et le creusement des inégalités. Ils assistent également à l’inféodation de la classe politique aux milieux d’affaires, à l’impunité de ceux qui pillent les ressources publiques, au sous-emploi malgré les taux de croissance magnifiés ; une croissance tirée d’ailleurs par des multinationales étrangères souvent championnes de l’évasion fiscale.

Réinvestir la politique pour éviter des Trump tropicaux

Nous ne sommes pas à notre tour à l’abri d’un phénomène Trump surfant constamment sur la vague de la provocation, de la division et de la banalisation de la haine. Une seule solution : la construction d’un discours et la mise en œuvre d’une action politique refusant toutes les compromissions observées, sans sacrifier le vivre-ensemble sur l’autel de la stratégie politicienne.

La victoire de Donald Trump symbolise cette tendance mondiale de la défaite des idées en politique et l’avènement du spectacle. Celui-ci fut d’ailleurs de très mauvais goût. L’heure est, en ce réveil douloureux, propice aux discours pessimistes sur la politique, celle qui a porté Trump hier au sommet du monde malgré ses propos sexistes, racistes, xénophobes et islamophobes.

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Mais la solution n’est pas, contrairement à la réaction du fondateur d’une grande université privée dakaroise, après l’annonce de la victoire de Trump, de « réapprendre à vivre, à construire sans les politiques ». Non, ces politiques doivent être au cœur de la construction de nos cités. Donald Trump a aussi gagné parce qu’on ne lui a pas opposé une candidature crédible, un adversaire au positionnement clair et tranché et à la mesure des défis de l’époque, des colères du peuple et de ses attentes.

Les hommes politiques étant chargés de la gestion du bien commun, être indifférent à ce qu’ils en font serait un renoncement à l’exigence d’un mieux-être collectif. Pour éviter que du terreau fertile de la souffrance des démunis de nos villes et de nos villages ne germent – ou ne s’éternisent s’ils sont déjà au pouvoir – des Trump tropicaux, il faut réinvestir la politique et lui donner du sens.

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Mystificateurs

Si les laissés-pour-compte ne voient aucun humaniste venir leur dire que leur sort n’est pas définitif et qu’il est possible d’abattre les privilèges indus et de lutter contre les inégalités inhérentes, ils se jetteront dans les bras du premier clown venu leur servir un discours de haine. Face au repli identitaire que certains considèrent comme unique voie du salut, la résistance doit s’organiser à travers une alternative crédible pour enrayer cette machine effrayante qui augure des lendemains obscurs.

Dans la plupart des pays africains, les politiciens peuvent en tirer cette leçon : en désertant leur devoir premier consistant à œuvrer pour un mieux-être de leurs concitoyens, ils favorisent des crispations dans la société que le premier « populiste identitaire » venu pourra exploiter pour se hisser au sommet. Nos pays ne sont nullement épargnés. Leur fragilité économique fait le lit de personnages grossiers et grotesques comme ceux que notre époque engendre en ce moment.

Quant aux citoyens qui estiment qu’il n’y a plus rien à attendre de leurs personnalités politiques qu’ils accusent, à raison souvent, d’affairisme d’Etat, d’impunité et de privilèges indus, ils n’ont plus vraiment le choix. S’engager sur le terrain politique ne sera bientôt plus une option mais un devoir. Cet engagement permettra de porter un discours de rupture émancipateur et unificateur à même d’être une alternative en Afrique aux mystificateurs de la trempe de Trump.

Hamidou Anne et Racine Demba sont membres du cercle de réflexion L’Afrique des idées.