Ici, on ne parle surtout pas de « camp » pour migrants. Au 70 boulevard Ney, dans le nord de la capitale, on dit « Centre humanitaire d’accueil pour réfugiés de Paris ». Il s’agit d’un centre de 400 places exclusivement réservées aux hommes seuls arrivés depuis peu. Derrière un portail sécurisé, à l’entrée, la « bulle » : une immense structure gonflable de 900 m2 destinée à l’accueil et à l’orientation des nouveaux venus.

A l’arrière, un ancien entrepôt de la SNCF, de 10 000 m2, abrite désormais huit « villages », composés chacun de douze cabanes en bois de 16 m2 chauffées avec quatre lits, ainsi qu’un pôle santé, une laverie, un « magasin » qui distribue gratuitement vêtements et kits d’hygiène, des tables de ping-pong et bientôt un terrain de foot. Le tout dans un sinistre bloc de béton défraîchi, coincé entre le périphérique et les boulevards des maréchaux que quelques fresques de couleurs tentent d’égayer.

Le centre humanitaire d’accueil, avant son ouverture à Paris, le 8 novembre. | CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Paris a déboursé 6,6 millions d’euros pour l’installation de ce nouveau centre d’accueil d’urgence, et l’Etat 1,3 millions d’euros. Les frais de fonctionnement annuels (dont les salaires des 120 salariés) sont partagés par la Ville – 1,4 millions d’euros – et l’Etat – 7,2 millions d’euros. Dans 18 mois, ce centre, entièrement démontable et remontable, devra s’installer ailleurs, pour laisser place aux travaux de construction du Campus Condorcet. Un autre centre similaire, pour les familles, les femmes enceintes et les femmes isolées, devrait voir le jour en janvier 2017 à Ivry-sur-Seine (mais rien n’est prévu pour les mineurs isolés).

Retard

Deux jours avant l’ouverture du centre, face à quelques journalistes, Anne Hidalgo, maire (PS) de Paris, qui avait annoncé sa création en mai 2016, décrivait une « alternative digne à la rue » et y voit la preuve que « l’on peut faire les choses avec humanité ». A ses côtés, la ministre du logement, Emmanuelle Cosse, se félicitait de « répondre à une nécessité » et de pouvoir « montrer la qualité du travail social en France qui fait l’honneur de notre pays ». Fières, toutes les deux, d’offrir un substitut plus « humaniste » aux dortoirs de 400 personnes, aux enfilades de conteneurs et aux campements de fortune qui se sont installés à même le bitume ou la boue, à Calais comme à Paris.

Anne Hidalgo, maire de Paris et Emmanuelle Cosse, ministre du logement visitent les infrastructures destinées à l’accueil des migrants, à Paris, le 8 novembre. | CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Place Stalingrad (19e), 3 800 exilés s’entassaient ainsi sous le métro aérien et le long de l’avenue de Flandre, jusqu’à ce que les forces de l’ordre les délogent, le 4 novembre au petit matin, pour les « mettre à l’abri », notamment dans des centres d’accueil et d’orientation (CAO) ou dans des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada).

Ce démantèlement, ainsi que celui de la jungle de Calais, intervenu quelques jours plus tôt, et l’afflux important de nouveaux migrants, ont été à l’origine du retard de l’ouverture du centre, initialement prévue début octobre. L’Etat a fait attendre la maire de Paris, le temps de placer les réfugiés dont les campements devaient être évacués. Ne va rester à Anne Hidalgo, contrainte de se soumettre au calendrier du gouvernement, que les places potentiellement restantes. C’est là que le bât blesse.

Premiers soins et bilans de santé

Le centre du boulevard Ney est un lieu de transit : les réfugiés sont censés y rester de cinq à dix jours maximum. « Ce n’est pas un centre d’hébergement, mais un sas au sein duquel nous pourrons répondre à leurs besoins vitaux, précise Bruno Morel, directeur général d’Emmaüs Solidarité, qui gère les lieux (avec l’aide de quelques centaines de bénévoles). Les migrants pourront recevoir les premiers soins, avoir quelques jours de répit, être informés sur leurs possibilités et sur ce qui va leur arriver ».

Le bon fonctionnement de cette nouvelle structure va donc entièrement dépendre de la gestion du flux. Seulement, les CAO et les CADA affichent pour beaucoup déjà complets, tandis que le nombre d’exilés ne cesse d’augmenter. A l’heure actuelle, personne ne sait combien de réfugiés vont se présenter boulevard Ney. Emmaüs, notamment, a prévenu les associations et effectué des maraudes.

Devant cette incertitude, l’association Médecins du Monde, qui propose avec le Samu Social de Paris des bilans de santé au sein du centre, ne s’est pas engagée au-delà du mois de janvier. Sa présidente, Françoise Sivignon, juge le challenge « phénoménal » et avoue se poser « beaucoup de questions ». Parmi ses craintes : que le centre ne devienne un camp de triage entre ceux que l’on appelle les « dublinés » (demandeurs d’asile qui ont laissé leurs empreintes dans un autre pays d’Europe et qui, au nom du règlement de Dublin, devraient y demander l’asile) et les autres.

Le nombre d’arrivées par jour à Paris est évalué entre cinquante et soixante-dix. Entre l’évacuation du campement, vendredi dernier, et l’ouverture du centre aujourd’hui, il y aurait donc déjà près de 400 nouveaux réfugiés dans les rues

Paris ne veut plus de réfugiés dans ses rues

Mais les migrants n’ont plus le choix. La politique de la Ville est claire : Paris ne veut plus de réfugiés dans ses rues. Place Stalingrad, quatre camionnettes de CRS, deux voitures de police, des policiers en uniformes et d’autres en civil avec des brassards orange sont là pour s’en assurer. Et l’allée centrale de l’avenue de Flandre a été condamnée par des grillages. Les exilés qui n’ont pas l’air de savoir où ils vont ont peu de chances d’échapper au contrôle d’identité.

Ismail trace sa route. Emmitouflé dans sa doudoune noire, un sac à dos à l’épaule, le regard fixé droit devant lui, ce Soudanais de 26 ans, arrivé à Paris il y a deux semaines, traverse la rue sans dévier de sa trajectoire initiale, malgré la quinzaine de policiers qu’il vient d’apercevoir sur le trottoir d’en face. Il frôle les uniformes avec la mine assurée d’un parisien qui connaît son chemin. Le tour est joué, il passe sans être repéré.

Ce n’est pas le cas d’un groupe de jeunes, à quelques mètres de lui. Certains, dans l’incapacité de fournir la preuve immédiate qu’ils sont hébergés quelque part, sont embarqués. « On va leur trouver un hébergement », assure un policier. Encore faut-il qu’il y ait de la place. Le nombre d’arrivées par jour à Paris est évalué entre cinquante et soixante-dix. Entre l’évacuation du campement, vendredi dernier, et l’ouverture du centre aujourd’hui, il y aurait donc déjà près de 400 nouveaux réfugiés dans les rues. Soit le nombre de places disponibles dans le centre humanitaire. A peine ouvert et déjà saturé ?