Des migrants à Messine, en Sicile, le 16 mai 2015. | ANTONIO PARRINELLO / REUTERS

La justice italienne devait statuer, mercredi 16 novembre, sur la question de savoir si Medhanie, un Erythréen arrêté le 24 mai à Khartoum, au Soudan, est le chef du plus gros réseau de passeurs d’Afrique du Nord, ou un simple migrant. Malgré trois audiences successives au tribunal de Palerme, l’accusation n’a pu à ce jour présenter aucun témoignage prouvant que l’homme arrêté et le trafiquant d’êtres humains sont une seule et même personne.

Appréhendé sur la foi d’un prénom similaire à celui de Medhanie Yehdego Mered – le trafiquant recherché – et d’écoutes de trois appels téléphoniques qu’il a passés vers la Libye courant 2016, l’homme interpellé plaide depuis le début du procès son innocence devant le tribunal spécialisé dans la lutte anti-passeurs. « Medhanie a reconnu avoir appelé la Libye, explique son avocat, Michele Calantropo. Mais il prenait des nouvelles d’un cousin et d’un ami en route vers l’Europe, c’est monnaie courante chez les migrants. »

La justice italienne ayant intercepté en 2014 quatre appels du trafiquant Mered, l’accusation pensait pouvoir inculper l’homme arrêté en comparant et en authentifiant les deux voix. Mais lors de la dernière audience, en septembre, l’ingénieur du son dépêché par la cour a été catégorique : « Le résultat de notre comparaison ne permet pas de statuer si l’homme arrêté est le même que le trafiquant. » Il faut dire que les méthodes de l’expert étaient sujettes à débat : le logiciel utilisé n’ayant pas de standard tigrigna, la langue parlée en Erythrée, il a utilisé, afin d’authentifier les voix, l’arabe égyptien, la langue « géographiquement la plus proche », ne tenant ainsi absolument pas compte des racines sémantiques totalement différentes des deux idiomes.

Alors que l’accusé est en prison depuis son arrestation, son avocat explique « avoir reçu de l’aide du monde entier, des Etats-Unis, de Suède, du Danemark, de France » pour prouver son innocence. D’une attestation de passage en études secondaires à de multiples certificats médicaux, des documents de toute sorte lui ont permis d’assembler, tel un puzzle, les fragments éparpillés de la vie de Medhanie Tesfamariam Behre, un Erythréen de 28 ans ayant fui la dictature d’Issayas Afeworki en 2014.

L’audience du 21 septembre avait tourné court, la juge déclarant n’avoir pu statuer sur la culpabilité de l’accusé dans le trafic de migrants. A l’époque, Calogero Ferrara, l’un des deux procureurs chargés du dossier, se réjouissait pourtant de cette décision : la juge Geraci « aurait relâché [l’accusé] si elle avait estimé que les éléments avancés n’étaient pas suffisants pour assurer sa culpabilité ».

Le passeur Medhanie Mered est recherché depuis plus d’un an dans le cadre de l’opération « Glauco 2 » menée par le parquet de Palerme. Multimillionnaire, il est accusé d’être à la source d’un rançonnement permanent de la diaspora érythréenne, pour faire payer à ces personnes le voyage en Libye de membres de leur famille ou de leurs amis. Selon les écoutes de la justice italienne, l’homme, qui a fait passer au moins 13 000 personnes en Méditerranée, s’était vanté un jour au téléphone de « devenir le nouveau Kadhafi ».