Documentaire sur France Ô à 20 h 50

Gaston Monnerville, président du Sénat, s'adresse à la presse en 1957. | AFP

A l’heure où Barack Obama s’apprête à quitter la Maison Blanche, concluantune page inédite de l’histoire des Etats-Unis, on est en droit de se demander si l’événement que fut son ­élévation au poste suprême, en novembre 2008, pourrait advenir dans le cadre de la République française.

Le brusque retournement opéré en Afrique du Sud où, l’apartheid à peine à terre, Nelson Mandela passa de l’obscurité des geôles à la pleine lumière de la présidence, le plus lent chemin des Noirs aux Etats-Unis, du rêve fracassé de Martin Luther King et du poing levé des athlètes sur le podium olympique à Mexico au double sacre d’Obama, n’en soulignent que davantage le paradoxe français.

La noble intention de la Ier République, abolissant l’esclavage dès 1794, avant le retour en arrière opéré sous le Consulat (1802), ­l’irréversible décision de la IIe République, sous l’impulsion décisive de Victor Schœlcher (1848), qui donne la pleine citoyenneté à des Français jusque-là considérés comme des biens personnels, auguraient d’un autre destin. Pourtant, par deux fois, l’un des plus brillants hommes politiques du XXe siècle – l’un des plus cou­rageux aussi, osant à l’automne 1962 tenir tête à Charles de Gaulle, à l’occasion du référendum sur l’élection présidentielle au suffrage universel – manqua de devenir chef de l’Etat sous deux Républiques différentes.

Evocation des « indigènes »

Président du Conseil de la République (sous la IVe, nom de la Haute Assemblée qui d’ordinaire s’appelle le Sénat) depuis mars 1947, le radical Guyanais Gaston Monnerville (1897-1991) aurait dû être présenté par son parti pour succéder à Vincent Auriol à la présidence de la République, selon l’usage. Son parcours des plus brillants, son action politique au sein des gouvernements Chautemps sous le Front Populaire – député de la Guyane, il parvient à faire abolir le bagne de Cayenne –, son implication dans la Résistance et sa mission à la ­Libération pour préparer le statut de l’outre-mer, tout concourt à faire de lui un candidat exemplaire. N’était la couleur de sa peau… Finalement les radicaux préfèrent laisser le champ libre pour l’Elysée au vice-président René Coty, péniblement élu par le Congrès au 13e tour de scrutin…

Quittant la présidence du Sénat qu’il occupe dès la naissance de la Ve République (soit, sous deux Républiques, plus de vingt et un ans à la tête de l’Assemblée qui siège au palais du Luxembourg : un record !), Monnerville démissionne en octobre 1968, manquant, à six mois près, d’assurer l’intérim à la tête de l’Etat lors de la démission du général de Gaulle. Il était dit que l’Elysée ne serait pas pour lui…

Instrumentalisation

Rien d’étonnant alors à ce que le personnage serve de fil rouge à cette évocation des « indigènes » de la République. En meilleure place au sommet comme à la base quand il s’agit de « faire de l’image », les « représentants de la diversité » – formule surprenante si tous les citoyens sont égaux – peinent à ne pas être instrumentalisés dans un jeu politique où la notion de quotas les réduit à de commodes alibis. Si on regrettera quelques scories (l’abolition de l’esclavage quarante-neuf ans et non quarante ans avant la ­naissance de Monnerville, Césaire disparu en 2008 et non en 2003…), la parole des témoins – Ericka Bareigts, Christiane Taubira, Myriam El Khomri, Chantal Berthelot : souvent des femmes puisque leur promotion satisfait deux obligations pari­taires, ce qui est tristement astucieux – a une force et une per­tinence qui font prendre conscience du caractère inique de la frilosité actuelle.

Les Couleurs de la République, de Nina Barbier (Fr., 2016, 50 min).