Dans une banlieue résidentielle de Benin City, capitale politique de l’Etat d’Edo, dans le sud du Nigeria, à quelques encablures de la cathédrale Saint-Pierre, dans une ruelle bien éloignée des regards, le révérend Popoola fait sonner une cloche chaque jours dès 5 heures du matin. Le soleil se lève à peine et tout le monde sort alors de sa chambre pour se réunir dans la grande salle commune.

Plongée dans des prisons d’Afrique

Le Monde Afrique explore les prisons africaines. En partenariat avec la revue Afrique contemporaine (Agence française de développement, partenaire du Monde Afrique) et le projet de recherche ECOPPAF qui étudie « l’économie de la peine et de la prison » en Afrique, chercheurs et journalistes plongent dans l’univers carcéral pour nous en raconter les réalités sociales, économiques et politiques.

Groupe de recherche constitué en 2015, financé par l’Agence nationale de la recherche (2015-2019) et codirigé par Frédéric Le Marcis (ENS de Lyon, Triangle) et Marie Morelle (Prodig, Université Paris 1-Panthéon Sorbonne), ECOPPAF se place dans une double perspective : l’étude du quotidien carcéral et celle des sociétés africaines.

De Cotonou à Yaoundé, d’Abidjan à Douala en passant par les prisons rurales éthiopiennes, Bénin City au Nigeria et Ouagadougou, ces sept articles vous feront découvrir, au travers de témoignages inédits, des lieux d’enfermement, des parcours de vie de prisonniers et de gardiens singuliers. Un panorama de la privation de liberté qui permet d’engager la réflexion sur les droits humains, la réforme des Etats en Afrique et les enjeux de démocratisation qui vont de pair avec la lutte contre les inégalités.

Dans l’austérité de ses murs sera lu un passage de la Bible, suivi d’une prière. Puis c’est le moment du bain suivi du repas communautaire, de la vaisselle à tour de rôle. Et un clin d’œil, la résidence se vide. Chacun vaque à ses occupations de la journée aux quatre coins de la ville.

La maison de transition du révérend Popoola

Il ne s’agit ni d’un monastère ni d’une maison religieuse, mais d’une safe house, une « maison de sécurité », ou plus exactement une résidence de transition pour d’anciens détenus.

Etablie par le révérend Popoola, ancien détenu lui-même, devenu pasteur spécialisé dans les espaces carcéraux, cette institution porte le nom évocateur de Life Transforming Prison Ministry. Elle s’inscrit dans l’action humanitaire du mouvement pentecôtiste et vit de dons privés provenant en grande partie de l’étranger et de donateurs nigérians. On se veut discret pour ne pas attirer l’attention du voisinage qui, comme beaucoup de citoyens ordinaires, se méfie, voire méprise, les anciens détenus.

Ainsi cette résidence, en plein cœur d’un quartier calme, abrite, loin des regards, en moyenne une vingtaine de prisonniers à leur sortie, pour des durées variables.

Plongée dans des prisons d’Afrique

Le Monde Afrique explore les prisons africaines. En partenariat avec la revue Afrique contemporaine (Agence française de développement, partenaire du Monde Afrique) et le projet de recherche ECOPPAF qui étudie « l’économie de la peine et de la prison » en Afrique, chercheurs et journalistes plongent dans l’univers carcéral pour nous en raconter les réalités sociales, économiques et politiques.

Groupe de recherche constitué en 2015, financé par l’Agence nationale de la recherche (2015-2019) et codirigé par Frédéric Le Marcis (ENS de Lyon, Triangle) et Marie Morelle (Prodig, Université Paris 1-Panthéon Sorbonne), ECOPPAF se place dans une double perspective : l’étude du quotidien carcéral et celle des sociétés africaines.

De Cotonou à Yaoundé, d’Abidjan à Douala en passant par les prisons rurales éthiopiennes, Bénin City au Nigeria et Ouagadougou, ces sept articles vous feront découvrir, au travers de témoignages inédits, des lieux d’enfermement, des parcours de vie de prisonniers et de gardiens singuliers. Un panorama de la privation de liberté qui permet d’engager la réflexion sur les droits humains, la réforme des Etats en Afrique et les enjeux de démocratisation qui vont de pair avec la lutte contre les inégalités.

Les conditions d’admission sont strictes. Cette façon de faire imite le parcours du révérend qui a rejoint lui-même le mouvement pentecôtiste lors de son incarcération pour détournement de fonds d’une entreprise au courant des années 1980. Pour les nouvelles recrues, non seulement il faut avoir fait preuve de rectitude et d’assiduité religieuse pendant sa détention – ce qui se poursuit pendant tout le séjour dans la maison de transition – mais le révérend s’arrange également pour inscrire « ses enfants », comme il les appelle, à l’école.

A la différence du révérend Popoola qui suivait une brillante carrière de comptable avant son incarcération, l’écrasante majorité des prisonniers au Nigeria n’a pas suivi de parcours scolaire élémentaire. On comprend l’intérêt de rendre l’instruction obligatoire pour pouvoir bénéficier des repas gratuits et d’un toit après avoir passé quatre ou dix ans, ou plus, en prison, et avoir perdu tout contact avec le monde extérieur.

De plus, ces jeunes adultes âgés de 20 ans à 40 ans se doivent de trouver un travail, selon leurs qualifications. Certains sont chauffeurs, d’autres couturiers ou vendeurs. Le révérend Popoola se porte toujours garant d’eux auprès des employeurs. Il est fier de les aider et doit aussi les faire partir au plus vite. Car nombreux sont les anciens détenus désireux de rejoindre la résidence.

Réinsertion et rédemption

Le principal acteur, au quotidien, au sein des institutions carcérales du sud du Nigeria ? L’Eglise et les associations religieuses. Ces organisations chrétiennes représentent, après le personnel pénitentiaire, le second groupe organisé le plus présent dans les prisons, principalement dans le sud du pays.

Le poids et l’influence des Eglises, protestante et catholique, sur la vie des détenus sont considérables. Tof, une jeune femme emprisonnée pendant quatre ans et sept mois pour tentative d’homicide, en explique les raisons :

« Lorsque vous réalisez que les églises sont présentes tous les jours, et qu’on vous dit sans cesse la même chose, encore et encore, vous finissez par vous asseoir et y penser […] Très clairement, je n’adhérais à aucune religion lorsque je suis arrivée [en prison] mais, une fois là-bas… cela a été une expérience marquante et un grand changement pour moi. Depuis que je suis sortie de là, en observant la vie de notre chapelain et d’autres expériences, j’ai réussi à devenir une personne meilleure. »

Néanmoins, cette influence se transforme parfois dans les témoignages recueillis en mainmise à laquelle on ne peut pas échapper. « Nous avions l’habitude de prier Dieu à chaque fois que le pasteur arrivait en prison pour ses prêches… Vous ne pouvez pas vraiment fournir d’excuse », confirme Kin, maintenue en détention préventive pendant dix ans pour vol aggravé.

« Maison Blanche » à Benin City

C’est la plus grande prison de l’Etat d’Edo, au sud du pays. Elle a été érigée en périphérie urbaine à la fin des années 1980, à la suite d’une révolte étudiante qui avait entraîné l’incendie de la prison centrale de Benin City – la capitale de l’Etat d’Edo – et l’évasion de nombreux prisonniers.

Avec 1 329 détenus confinés dans un espace dont la capacité est normalement limitée à 608 places, cette prison d’Oko se trouve à dix minutes de l’aéroport et est entourée de résidences gouvernementales habitées par le personnel pénitentiaire. Une tour de près de 30 mètres surplombe l’établissement construit suivant la logique du panoptique. Ainsi, les personnes incarcérées ont l’impression d’être constamment observées.

Deux murs d’enceintes, surmontés de barbelés isolent les détenus des regards, en plus de l’éloignement géographique par rapport au centre-ville. C’est un contraste saisissant avec la deuxième prison de la ville de Benin City, reconstruite au même endroit après sa destruction à la fin des années 1980. La prison porte désormais le nom de « Maison Blanche » à cause de la blancheur éclatante de se son mur d’enceinte.

En fait, ces deux prisons représentent deux âges carcéraux au Nigeria : les prisons coloniales (comme celle de Benin City aujourd’hui surnommée « Maison Blanche ») et les prisons postcoloniales (comme celle d’Oko). Les premières avaient toujours été construites au cœur des agglomérations, et la « Maison Blanche » ne fait pas exception puisqu’elle jouxte le palais de justice, le département des gardiens de prison, l’Assemblée législative de l’Etat et même le quartier ministériel.

Désormais, les établissements pénitentiaires nigérians sont érigés en périphérie des villes et obéissent à des règlements stricts qui les classent dans la catégorie des Medium Security Prisons, la troisième échelle de niveau de sécurité pénitentiaire suivant le modèle anglo-saxon, juste après les C-Max (prisons de haute sécurité) et les Maximum Security Prisons, ces établissements pénitentiaires où la sécurité est « maximale ».

Cette omniprésence des Eglises dans les prisons du sud du Nigeria n’est pas une exception liée à Benin City. Le phénomène est largement répandu dans le pays. En effet, dans la ville d’Ibadan, plus à l’ouest, Solomon Kayode Williams, un ancien détenu lui aussi devenu pasteur, préside une organisation similaire, la Prison Rehabilitation Ministry International (PREMI), chargée de « récupérer » des détenus principalement par conversion religieuse, ainsi que par l’adoption d’une éthique et de principes de vie.

Les Eglises ne sont pas actives dans toutes les prisons des 36 Etats de la fédération du Nigeria, néanmoins ces exemples témoignent d’une dynamique singulière d’institutions religieuses en direction de la réinsertion et de la rédemption des prisonniers dans ce pays.

Aider les détenus « récupérables »

Les premières prisons créées pour « réformer » les personnes dites « déviantes » en Pennsylvanie et aux Pays-Bas suivirent, dès le XVIIIe siècle, la même démarche. On prêchait la « réforme » et la réadaptation de l’individu par l’isolement dans un espace de confinement qu’on a appelé « cellule » et l’ensemble de l’établissement où elle se trouve, « prison ».

Prières intenses et régulières, restrictions, travail, occupation constante du détenu et bien d’autres idées inspirées du monachisme catholique ont été le mode opératoire des toutes premières prisons du monde moderne : c’est ce qu’on a appelé le « modèle de Philadelphie ».

Dans les deux prisons de Benin City, il est même apparu que les services religieux ont été rendus obligatoires par l’administration pénitentiaire. L’importance des églises et leurs ramifications, à l’instar de la Life Transforming Prison Ministry de Benin City, rendent compte d’une substitution du rôle de réinsertion – ailleurs gérée par l’Etat – par des institutions privées religieuses.

Dans une rue de Benin City, en 2012. | PIUS UTOMI EKPEI/AFP

En effet, toujours à Benin City, on compte parmi les groupes fortement impliqués dans les deux prisons, le Justice Development and Peace Commission (JDPC), une organisation financée et soutenue par le diocèse catholique de la ville. Cette ONG est définie par son directeur, Eric Okuje, comme étant « le bras juridique de l’Eglise [catholique] chargé de la gestion des pauvres, notamment dans les prisons ». Cette situation laisse à penser à une répartition implicite des rôles où l’Etat serait en charge du volet punitif tandis que les Eglises s’occuperaient de la « réforme », de la réadaptation et de la réinsertion des personnes.

Pourtant, ces organismes religieux semblent cultiver la discrétion, peut-être pour mieux s’assurer de l’efficacité de leur action et éviter la stigmatisation des personnes dont ils s’occupent, gagner la confiance des détenus « récupérables » dès la prison, comme le fait le révérend Popoola avant de les accueillir à leur sortie. Le couvert et le logis sont assurés à ces anciens détenus le temps qu’ils retrouvent un travail et reconstituent une vie sociale. Selon le révérend Popoola, près de 600 ex-prisonniers auraient été réinsérés au sein de la société nigériane depuis 1992, année de sa première nomination comme chapelain de la prison d’Oko.

Lionel N. Njeukam est chercheur rattaché à la Fondation Paul Ango Ela ; Sylvain Faye est professeur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar ; Sacha Gear est directrice de l’ONG Just Detention de Johannesburg. Les données de cet article sont extraites d’une enquête empirique menée auprès de prisonniers et d’anciens détenus des deux prisons de Benin City, avec le concours de la Fondation Paul Ango Ela, dans le cadre d’un travail de recherche financé par le CODESRIA. Ce travail s’inscrit également dans une collaboration avec le groupe de recherche ECOPPAF (Economies de la peine et de la prison en Afrique) dirigé conjointement par les universitaires Marie Morelle et Frédéric Le Marcis.

Le sommaire de notre série Plongée dans des prisons d’Afrique

Le Monde Afrique explore les prisons africaines en partenariat avec la revue Afrique contemporaine (Agence française de développement, partenaire du Monde Afrique) et le projet de recherche ECOPPAF qui étudie « l’économie de la peine et de la prison » en Afrique, chercheurs et journalistes plongent dans l’univers carcéral pour nous en raconter les réalités sociales, économiques et politiques.