De retour au Quai d’Orsay, Boris Boillon est renvoyé devant la justice
De retour au Quai d’Orsay, Boris Boillon est renvoyé devant la justice
Par Simon Piel, Joan Tilouine
Proche de Nicolas Sarkozy, ce diplomate, mêlé aux affaires libyennes, avait été arrêté gare du Nord, à Paris, en 2013, avec 350 000 euros et 40 000 dollars en liquide.
Boris Boillon, à Carthage, le 17 février 2011, alors qu’il était ambassadeur de France en Tunisie. | FETHI BELAID / AFP
Dans le monde policé des ambassades, Boris Boillon était le symbole du sarkozysme décomplexé. A 46 ans, il vient d’être réintégré au ministère des affaires étrangères en poste à New York après quatre années en disponibilité dans le secteur privé. Une décision qui ne fait pas l’unanimité. D’autant plus que lundi 21 novembre, le parquet de Paris a décidé de le faire citer devant le tribunal correctionnel de Paris afin d’être jugé des chefs de manquement aux obligations déclaratives de transferts de capitaux, faux et usage de faux, blanchiment de fraude fiscale et abus de bien sociaux. Il est convoqué le 23 mars.
C’est l’aboutissement d’une enquête préliminaire ouverte par le parquet de Paris le 31 juillet 2013. Ce jour-là, le diplomate en disponibilité est arrêté gare du Nord, à Paris. Il est dépourvu de pièce d’identité mais chargé d’un sac contenant 350 000 euros et 40 000 dollars en liquide qu’il n’a déclaré ni aux douanes ni au fisc. M. Boillon était en partance pour Uccle, commune bruxelloise réputée pour accueillir de nombreux évadés fiscaux, où il a élu domicile.
Devant les enquêteurs, Boris Boillon a expliqué avoir récupéré cette somme dans le cadre d’une mission effectuée en Irak pour le compte de sa société, Spartago, fondée en novembre 2012, qui se présente comme « spécialisée dans le secteur d’activité du conseil pour les affaires et autres conseils de gestion ». L’entreprise est établie dans le 8e arrondissement de Paris, place Henri-Bergson, du nom du philosophe dont il aime à citer la phrase : « Agir en homme de pensée et penser en homme d’action. » L’ancien diplomate devenu consultant dit avoir gagné cet argent dans le cadre d’un contrat lié à la construction d’un complexe sportif à Nassiriya, au sud de l’Irak, comprenant notamment le stade de Thiqar d’une capacité de 30 000 places et un hôtel quatre étoiles. S’il a préféré être rémunéré en liquide, assure-t-il alors, c’est en raison de la fragilité du système bancaire irakien.
Origine de l’argent non identifiée
Pour justifier ses déclarations, l’ancien ambassadeur a fourni plusieurs documents. Le contrat d’assistance et de conseil de sa société et une attestation de remise des fonds. Ces documents n’ont pas convaincu les enquêteurs du service national de la douane judiciaire (SNDJ) qui ont recueilli un témoignage indiquant que Boris Boillon aurait produit des faux pour se sortir de ces tracas judiciaires.
Malgré l’envoi de nombreuses demandes d’entraide pénale internationale en Finlande, en Allemagne, en Italie ou aux Etats-Unis, le parquet de Paris n’est pas parvenu à identifier l’origine de l’argent. La question était pourtant cruciale. Compte tenu du rôle joué par M. Boillon dans les relations franco-libyennes sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, nombreux sont ceux qui se sont demandés si cet argent ne venait pas du colonel Mouammar Kadhafi.
Arabisant, M. Boillon a été de plusieurs voyages de la délégation française en Libye. Et il aimait à se vanter de sa proximité avec le dictateur libyen qu’il appelait « papa », comme le rappelle un témoin entendu par les juges français dans le cadre de l’enquête sur un possible financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Cette même année, M. Boillon, conseiller Afrique du Nord et Moyen-Orient à l’Elysée, avait participé aux côtés de Cécilia Sarkozy à la négociation pour la libération des infirmières bulgares en se rendant à Tripoli le 12 et le 22 juillet 2007 notamment. Selon ce même témoin, qui a déposé anonymement, Boris Boillon aurait réceptionné, avec Claude Guéant, 20 millions d’euros en billets de 100 et 500 euros acheminés de Syrte au Bourget et destinés à la campagne de M. Sarkozy. Des accusations toutefois jamais été étayées.
En tant qu’ambassadeur de France à Tunis en 2011, M. Boillon a contribué, selon une note de la Direction générale de la sécurité extérieure, à l’exfiltration de Bechir Saleh, l’ancien directeur de cabinet de Kadhafi soupçonné de détenir les secrets des relations financières franco-libyennes. La Libye s’enfonce alors dans la guerre et le patron du renseignement intérieur, Bernard Squarcini, a chargé son ami l’intermédiaire Alexandre Djouhri de mener cette opération sensible. Boris Boillon est en lien téléphonique avec M. Saleh à qui il aurait fourni une voiture de l’ambassade de France pour le récupérer à la frontière entre la Tunisie et la Libye. Puis Bechir Saleh sera reçu par Boris Boillon à Tunis le 15 novembre 2011. Il sera discrètement hébergé à la résidence de l’ambassade de France avant de rejoindre pour deux nuits un hôtel cinq étoiles réglé par M. Djouhri qui l’exfiltrera en jet privé à Paris. Selon plusieurs témoignages recueillis par les juges français, Boris Boillon était également en lien avec Franck Houndete, un homme d’affaires béninois qualifié par les services français de « porte-valise » de Bechir Saleh.
Ton franc voire arroguant
Le nom de M. Boillon apparaît aussi dans l’enquête préliminaire actuellement en cours au parquet financier et qui vise à déterminer si des malversations ont entouré la remise en route de l’hôpital de Benghazi par des sociétés françaises en 2008. Selon plusieurs témoins, c’est M. Boillon qui aurait imposé le choix des prestataires. Pour quelles contreparties ?
Aujourd’hui établi à New York, il a été réintégré au ministère des affaires étrangères. Ce qui a suscité quelques grincements de dents compte tenu de ses démêlés judiciaires. Après quatre années de mise en disposition, il a été affecté à la mission permanente de la France auprès des Nations unies où il s’occupe, entre autres, du budget de fonctionnement.
En Irak où il avait été ambassadeur de 2009 à 2011, il s’était montré favorable à l’intervention américaine. Nommé à Tunis à la chute du régime du dictateur Zine el-Abidine Ben Ali, le jeune diplomate n’avait pas hésité à afficher son corps sculpté sur le web, uniquement vêtu d’un slip de bain, ou à poser en James Bond dans la presse locale. Son ton franc voire arrogant, mal reçu dans le milieu diplomatique, avait choqué une partie de l’opinion publique tunisienne. Lorsqu’il avait reçu pour la première fois des journalistes tunisiens, qui l’avaient interrogé sur le rôle de la France durant la révolution, Boris Boillon s’était emporté en pointant « des trucs à la con », des « questions débiles », avant de brutalement mettre un terme à l’entretien filmé et diffusé sur les réseaux sociaux. Une attitude qui avait poussé des centaines de Tunisiens indignés à se réunir devant l’ambassade de France, trois jours plus tard, en scandant « Boillon dégage ». Contacté par Le Monde, M. Boillon n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien.