Situé à l’est de Tromsø, le massif des Alpes de Lyngen offre la possibilité exceptionnelle de pratiquer le ski tout en ayant vue sur des bras de mer. | eye35.pix / Alamy Stock Photo

Ce matin-là, un vilain crachin bien collant s’agrippe à nos vêtements, tandis que le Zodiac avance vers la côte. Mais cette pluie glacée ne parvient pas à doucher l’enthousiasme du groupe. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut éprouver le plaisir incongru de débarquer sur une plage, chaussures de ski aux pieds. « Attention aux algues, c’est superglissant », nous prévient Charles Mirassou, le second du Southern Star, en accostant avec son canot pneumatique. Il désigne une curieuse mélasse verte qui se détache sur les galets et la neige détrempée. Notre voilier, dont le Zodiac est l’annexe, a jeté l’ancre une grosse centaine de mètres plus loin, au large. Nous le retrouverons dans l’après-midi, après avoir gravi puis dévalé la montagne qui nous toise de son air sévère. Il nous déposera, jour après jour, à l’assaut de nouveaux sommets.

Au départ de ce voyage dans la région de Tromsø, dans le Grand Nord norvégien, il y a un vieux rêve qui nous hantait depuis des années. Celui de tracer notre chemin dans la poudreuse en plongeant notre regard dans le bleu des fjords, en contrebas, plutôt que dans le gris des fumées polluées de certaines vallées alpines. Celui de nous repaître, une fois l’effort accompli, de hareng, de morue ou de baleine, plutôt que de tartiflette ou de fondue. Bref, celui d’entremêler les passions de la plupart des sportifs amateurs de grand air : la mer et la montagne, l’eau et la neige. Le dépaysement en prime.

Temps de cochon

Autant le dire d’emblée : la météo ne nous a pas, pendant la semaine de notre voyage, simplifié la vie. Il a d’abord plu comme il n’est jamais censé pleuvoir en mars au-delà du cercle polaire. Puis il a neigé à foison, ce qui a chargé les pentes d’une poudre instable. Le vent, pour compliquer un peu l’affaire, a soufflé tout ce qu’il a pu. En créant des accumulations prêtes à rompre au passage d’un skieur, il a encore augmenté le risque d’avalanches. Mais, lorsque le soleil a bien voulu pointer un ou deux de ses rayons, le spectacle espéré était au rendez-vous. Et lorsque les nuages se déchiraient enfin pour s’ouvrir sur le bleu du ciel, qui tutoyait l’azur de la mer, l’éclaircie avait le goût intense des choses que l’on a attendues en croyant qu’elles n’arriveraient jamais.

Des circuits sont organisés avec des pauses pour se ravitailler et récupérer un peu. Ici, un magasin sur l'île d'Uloya, dans la région de Troms. | Jean-François Hagenmuller/Hemis.fr

La ville de Tromsø, où nous avons atterri, est depuis le XIXe siècle le point de départ des expéditions arctiques. Elle est aussi devenue, ces dernières années, un rendez-vous prisé des amateurs de ski de randonnée. On les reconnaît sans difficulté dès leur débarquement à l’aéroport. Ils sont en général vêtus en Gore-Tex de pied en cap pour affronter le gros temps, couvent leur précieux matériel de ski du regard comme des parents une poussette et ont souvent, tortues postmodernes, un sac avec airbag accroché au dos. C’est le dernier équipement en vogue dans cette petite tribu : les skieurs peuvent l’actionner en tirant sur une poignée accrochée à la bretelle. Une fois gonflé, ce gros ballon est censé les maintenir à la surface de la neige s’ils se font attraper par une coulée. Cela marche souvent. Malheureusement, pas toujours.

Ce curieux ballet de skieurs a commencé il y a une quinzaine d’années, quand quelques passionnés, souvent venus de France et de Suisse, se sont rendu compte que la région pouvait être un terrain de jeu extraordinaire. Le climat est moins rude qu’on l’imagine, sur cette côte sise à 69° de latitude nord. Le Gulf Stream, qui fend le large, réchauffe un peu l’atmosphère.

Beurrées à la neige

Au nord-est de Tromsø, les Alpes de Lyngen offrent les reliefs les plus découpés de Norvège. Il y a là toute la panoplie des attractions pour montagnards aguerris : des couloirs vertigineux, des sommets escarpés, mais aussi de larges versants débonnaires propices à une godille décontractée. Plus largement, l’ensemble de la région est une succession de pics élancés et de grosses mottes beurrées à la neige. « Il y en a pour tous les goûts, et l’on peut toujours trouver des pentes pas trop raides à skier lorsque le risque d’avalanches est élevé », explique notre guide, Raphaël Corthay.

Il ne faut cependant pas, ici, rechercher l’ivresse de l’altitude. Le plus haut sommet, le Jiehkkevárri, culmine à 1 834 mètres, soit près de 3 000 mètres de moins que le mont Blanc. La plupart des autres pics pointent leur nez aux alentours de 1 000 à 1 300 mètres. Mais c’est bien assez, comme la neige descend jusque dans les fjords, pour faire chauffer les cuisses et grincer les genoux.

Ce que l’on peut voir quand on a la chance d’avoir du beau temps… | Henrik Trygg / Getty Images

En ski de randonnée, il faut en effet non seulement accepter à la fois les caprices du temps et de transpirer à grosses gouttes. Pas un télésiège ou une télécabine à l’horizon. Il ne faut pas même compter sur un hélicoptère, comme cela se pratique en Russie ou en Alaska lorsque l’on a le portefeuille bien garni. Se faire déposer sur les sommets au bruit du rotor, c’est peut-être devenu très chic, mais c’est ici interdit. On y gagne en tranquillité pour observer les rennes ou les aigles.

S’écorcher sur l’écorce

Pour grimper, il n’y a donc que la force des cuisses et des mollets, et ce qu’il faut de souffle et d’abnégation. À la montée, on colle sous ses skis une « peau » qui permet d’adhérer à la neige, et on marche comme avec des skis de fond, le talon laissé libre par la fixation. Pour redescendre, on enlève la peau et on bloque l’arrière du pied. Les sensations sont alors les mêmes qu’en ski alpin. On peut s’élancer pour un run inoubliable qui finit souvent en slalom entre les bouleaux qui hérissent le bas des montagnes. Quand il ne finit pas en un corps-à-corps avec l’écorce…

Le ski de randonnée, qui s’est beaucoup démocratisé dans les Alpes ces dernières années, est accessible à tout bon skieur, pourvu qu’il sache se débrouiller sur à peu près toutes les pentes et qu’il s’accommode de toutes les neiges : poudreuse, soupe, glace… On peut parfois rencontrer tout cela dans une même journée, en fonction des versants et de l’évolution du temps. Un voyage comme celui-ci requiert également une bonne condition physique. Nul ne peut prétendre avaler plus de 1 000 mètres de dénivelé positif chaque jour pendant une semaine sans s’être soumis à l’impératif d’un entraînement un minimum sérieux.

Le bateau est le meilleur moyen pour s’enfoncer dans les fjords et accéder à des bouts de côtes qu’aucune route ne dessert. Une petite dizaine d’équipages, qui opèrent à la fin de l’hiver ou au début du printemps lorsque les jours sont redevenus assez longs et que la neige reste abondante, se sont spécialisés dans le transport de skieurs. La plupart sont français. Ici se rencontrent souvent la Bretagne et les Alpes, même si un bateau norvégien est récemment venu renforcer la flottille.

Jeter l’ancre dans les fjords

Notre embarcation, le Southern Star, est un magnifique voilier de 24 mètres. Mis à l’eau en Californie en 1970 pour courir des régates, d’abord propriété d’un ponte de la NASA – il a ainsi accueilli à son bord Neil Armstrong –, il a été racheté par son actuel skippeur il y a une quinzaine d’années. « C’est un dériveur qui a été conçu pour la course mais qui est adapté à la navigation polaire avec sa coque en aluminium », précise Olivier Pitras, premier Français, en 1999, à avoir franchi à la voile le fameux passage polaire du Nord-Ouest, qui relie l’Atlantique au Pacifique.

À 55 ans, ce baroudeur au long cours a navigué sur toutes les mers et égaie les soirées à bord de ses souvenirs. Il n’a pas son pareil pour trouver où jeter l’ancre dans les fjords et éviter les nuits trop houleuses sur les bannettes des cabines. Le vent, lorsqu’il fouette la coque et le mât, peut en effet transformer le bateau en pendule et amener l’estomac à faire naufrage.

La nuit tombée, il n’est pas rare, depuis le pont, de pouvoir observer des aurores boréales. Nous n’avons pas eu cette chance. Les éclaircies, durant notre séjour, ont été trop fugaces. Restait à se consoler de ce petit goût d’inachevé le dernier soir, de retour à terre, dans les bars animés de Tromsø, curieuse cité de 85 000 âmes qui accueille dans son université du Grand Nord de nombreux étudiants venus du monde entier. Manière de clore avec un mal de crâne ce voyage conçu pour faire mal aux jambes. Ski ? Skål !

L’église de Tromsø, plus connue sous le nom de Cathédrale arctique. | Coolbiere photograph / Getty Images

Carnet pratique L’agence Grand Nord Grand Large (GNGL), filiale de Terres d’aventure, propose ce circuit de huit jours « Ski et voile à bord du Southern Star », avec déplacements en voilier et randonnées quotidiennes à ski dans les Alpes de Lyngen, encadrées par des guides de haute-montagne. Séjour en pension complète, en cabine double. Groupe réduit. Prochaines dates : du 11 mars au 18 mars 2017. À partir de 3 190 €, vols compris à partir de Paris. www.gngl.com