A Monaco, l’argent douteux de la tour Odéon
A Monaco, l’argent douteux de la tour Odéon
Par Luc Leroux (Marseille, correspondant)
Le maire de Beausoleil, des entrepreneurs, une veuve… Onze prévenus sont jugés pour corruption et blanchiment.
La tour Odéon, à Monaco en septembre 2013. | VALERY HACHE / AFP
Un soupçon de corruption entre des promoteurs immobiliers de Monaco et le maire d’une commune des Alpes-Maritimes, 540 000 euros dormant dans le coffre d’un sénateur, des sociétés aux îles Vierges britanniques destinées à blanchir des espèces et une fête qui réunit élus, entrepreneurs et voyous : le tribunal correctionnel de Marseille s’est donné quinze jours pour démêler un écheveau de relations d’affaires et d’amitiés sur la Côte d’Azur.
La tour Odéon, gratte-ciel de 170 mètres et balcon sur la Méditerranée construit à Monaco et livré en 2015, a donné son nom à cette affaire qui vaut à onze prévenus d’être jugés à partir de lundi 28 novembre pour corruption, blanchiment en bande organisée et autres infractions financières. En 2007, une alerte du parquet antimafia de Gênes (Italie) conduit les policiers français à s’intéresser aux activités sur la Côte d’Azur de Giovanni Tagliamento, 60 ans, « notoirement connu comme membre actif de la Camorra ». Très vite, celui-ci quitte les radars des enquêteurs qui se braquent alors sur « un de ses vieux copains », Ange Romeo, dit Lino Alberti, entrepreneur à Monaco. Cet Italien aime raconter sa success story : celle d’un « garçon de la campagne qui marchait pieds nus » devenu patron sur le Rocher. A 14 ans, il travaillait comme commis dans la restauration. En 1978, il crée sa société de terrassement et d’étanchéité.
En 2009, lorsque l’enquête débute, Lino Alberti vit au château des Zoraïdes, à Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes), paradis de milliardaires. Quelques mois plus tôt, il a travaillé à la réfection de la piscine de Chantal Grundig, la veuve de Max Grundig, fondateur de l’empire allemand d’électroménager. Une relation s’est nouée entre l’entrepreneur et la richissime veuve à laquelle la fondation Grundig verse 280 000 euros chaque mois et qui roule en Rolls Royce Phantom.
Dans un coffre du château, les enquêteurs sont tombés sur une enveloppe « Gérard Odéon », contenant 60 000 euros, destinée, selon Lino Alberti, au maire de Beausoleil, Gérard Spinelli, un « ami de vingt-cinq ans ». Un document intitulé « Accord du 13 mars 2009 » concernant 10 points ayant trait à l’exécution du chantier de la tour Odéon construite sur la frontière avec la commune française est considéré par le juge d’instruction comme un pacte de corruption entre les promoteurs et l’élu, noué via Lino Alberti. Le texte envisage les conditions de circulation des véhicules, les autorisations de travaux… Bref, que le chantier ne rencontre pas d’obstacles à Beausoleil. Lino Alberti maintient avoir versé au maire de Beausoleil ce qu’il appelle un « encouragement », alors qu’une partie de la population proteste contre la construction de la tour.
« Je n’ai rien perçu d’Alberti ni de qui que ce soit d’autre », se défend Gérard Spinelli, attaché à son étiquette de « maire irréprochable » depuis son élection en 2008. Mêmes dénégations du côté des promoteurs : « J’ai refusé cette proposition, a expliqué Claudio Marzocco, parce que je ne pratique pas comme cela, et que les prestations proposées étaient inutiles. » Et le promoteur d’expliquer combien il est chagriné de se retrouver impliqué dans un dossier où « on parle de Brise de Mer, de Mafia, de bandits, d’assassins ». Le promoteur avait été kidnappé à San Remo le 22 janvier 1988 par la Ndrangheta calabraise, son père s’étant refusé à verser des pots-de-vin à l’administration pour un permis de construire. Claudio Marzocco était resté en captivité durant treize jours avant de pouvoir s’échapper, en sciant sa chaîne avec une pierre à feu.
L’autre volet de ce procès touche à de présumées opérations de blanchiment d’espèces supervisées par Lino Alberti pour le compte des deux filles de René Vestri, « ami de trente ans », ancien entrepreneur de bâtiment devenu maire de Saint-Jean-Cap-Ferrat, puis sénateur des Alpes-Maritimes. Mis en examen en avril 2010 pour blanchiment en bande organisée, association de malfaiteurs et trafic d’influence, après la levée de son immunité parlementaire, il est décédé en février 2013. Son épouse Lucette Vestri, l’une de ses filles et son époux devront s’expliquer sur des sociétés créées aux îles Vierges britanniques et sur des comptes en Suisse sur lesquels auraient transité plus de trois millions d’euros. Des recettes occultées de la comptabilité de la plage très à la mode « Le Passable » que géraient les deux filles de René Vestri. Dans le coffre du sénateur, les enquêteurs avaient récupéré 540 550 euros en espèces. A en croire l’élu des donations faites trente ans plus tôt par le frère de Lucette Vestri alors qu’il faisait fortune dans l’exploitation offshore pétrolière.
Le 4 juillet 2009, Lino Alberti réunissait à la Fête des pirates ses amis, promoteurs et entrepreneurs, élus – René Vestri était lui souffrant – mais aussi Giovanni Tagliamento et Roger Mouret, présenté par Chantal Grundig comme « le chef des Gitans de Marseille », membre du banditisme régional, selon la police. « Ce sont des gens que je connais depuis vingt ans, certains sont devenus maires, d’autres voyous et d’autres ont fait carrière dans le bâtiment, s’est justifié Lino Alberti. Mais chacun est resté dans son coin. »