« Les élèves de terminale S ne savent plus ce qu’est une démonstration mathématique »
« Les élèves de terminale S ne savent plus ce qu’est une démonstration mathématique »
Par Marine Miller
La dernière étude internationale « Trends in Mathematics and Science Study » montre que le niveau des terminale S a baissé de 107 points depuis 1995. Une dégringolade qui ne surprend pas les professeurs de mathématiques du supérieur.
Avec douze médailles Fields – l’équivalent du prix Nobel en mathématiques –, la France se classe au deuxième rang mondial derrière les Etats-Unis. Depuis peu, elle se distinguait aussi dans les concours internationaux de mathématiques réservés aux lycéens. Mardi 29 novembre, l’étude Trends in Mathematics and Science Study (Timss) vient jeter un froid sur ces beaux succès.
Une partie de l’enquête s’intéresse aux performances des élèves de terminale S en mathématiques. Et le constat est sans appel : la France est le pays qui accuse la plus forte baisse (- 107 pts), passant d’un score de 569 en 1995 à un score de 463 en 2015. Pire : alors que l’étude distingue les niveaux scolaires «avancé », « élevé » et « intermédiaire », les élèves français ne sont, en 2015, que 1 % à atteindre le niveau « avancé » en maths, tandis que 11 % le seuil « élevé ». Il y a vingt ans, ils étaient respectivement 15 % et 64 %.
Des professeurs peu surpris
« Le programme de mathématiques en terminale S ne prépare plus à l’arrivée dans l’enseignement supérieur. Nous sommes souvent atterrés du niveau des étudiants en première année de licence scientifique. Ils ne savent pas ce que sont les mathématiques, ils ont juste appris des recettes de cuisine pour passer le bac », déplore Aviva Szpirglas, professeure de mathématiques à l’université de Poitiers. Interrogée avant la parution de l’étude Timss 2015, mais informée de la baisse très nette du niveau des élèves depuis 1995.
Martin Andler n’est pas plus étonné. Professeur à l’université de Versailles Saint-Quentin, président d’Animath, une association qui promeut les mathématiques chez les jeunes, il affirme même que « tous les mathématiciens savent que le niveau a diminué, ils en ont la confirmation avec cette étude très sérieuse ». « Les élèves sont incapables de raisonner, appuie Denis Monasse, qui accompagne des jeunes de terminale qui se destinent à une classe prépa scientifique, après avoir enseigné les mathématiques, tant en terminale qu’en prépa, au lycée Louis-Le-Grand, à Paris. Ils ne savent plus ce qu’est une démonstration mathématique. On leur apprend à aligner des calculs stéréotypés. »
De l’avis de ces trois professeurs de mathématiques, l’étude Timss enfonce une porte ouverte. Preuve par l’absurde : « Les professeurs des lycées élitistes essaient de maintenir un enseignement parallèle en se raccrochant aux anciens programmes de maths, explique Denis Monasse. A Louis-Le-Grand par exemple, de septembre à avril, nous préparions les élèves aux études supérieures, puis on les préparait au bac ». Ceux qui n’ont pas la chance de bénéficier d’un tel soutien le paient cher et l’écart se creuse entre les élèves de « lycée normaux » et ceux des « grands lycées », aggravant l’impact du déterminisme social sur les performances scolaires.
Le ministère de l’éducation nationale impute cette baisse du niveau aux programmes scolaires français : ils ne seraient pas « en phase » avec ce qui est demandé dans une évaluation telle que Timss. Il rappelle également que la terminale S attire aujourd’hui des élèves ayant moins « d’appétences » pour les mathématiques qu’il y a vingt ans. Les professeurs interrogés font eux directement le lien avec les réformes du lycée menées depuis vingt ans. D’abord celle des spécialités quand, en 1995, les filières C et D ont été fondues dans une filière S (scientifique) regroupant des élèves de niveaux plus disparates en mathématiques.
Autre explication avancée par ces professeurs : l’obsession des gouvernements, de droite comme de gauche, de fabriquer des « honnêtes hommes », à l’image des savants de la Renaissance dotés d’une large culture générale. « Dans un contexte d’enseignement massifié, cela condamne les lycéens à être superficiels dans tous les domaines », estime Martin Andler. « On a choisi de former des citoyens plutôt que des scientifiques. Voici le résultat », tranche Denis Monasse.