La CEDH appelée à se prononcer sur un droit à « l’Internet privé » au travail
La CEDH appelée à se prononcer sur un droit à « l’Internet privé » au travail
Le Monde.fr avec AFP
Les juges ont entendu, mercredi, les arguments d’un ingénieur roumain, licencié en 2007 pour avoir utilisé une messagerie privée sur son lieu de travail à des fins personnelles.
Existe-t-il un droit à l’Internet privé au travail ? Autrement dit, un employeur peut-il surveiller les communications sur le Web de ses salariés ? La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) s’est saisie, mercredi 30 novembre, de cette question, jugée « très importante » par les syndicats européens, qui appellent à la « protection des travailleurs à l’ère numérique ».
La « grande chambre » de la CEDH, son instance suprême formée de 17 juges, a entendu les arguments présentés par la défense d’un jeune ingénieur roumain, qui vit à Bucarest, licencié de son entreprise en 2007 pour avoir utilisé Internet de son lieu de travail à des fins personnelles. La décision, appelée à faire jurisprudence dans les 47 Etats membres du Conseil de l’Europe, a été mise en délibéré à l’issue de l’audience. Elle sera rendue dans plusieurs mois et sera alors définitive.
Violation du droit à la vie privée
En janvier, la CEDH avait donné tort à l’ingénieur, en jugeant qu’il n’était « pas abusif qu’un employeur souhaite vérifier que ses employés accomplissent leurs tâches professionnelles pendant les heures de travail ». Mais la défense avait demandé et obtenu un nouvel examen du dossier.
Le jeune homme, aujourd’hui âgé de 37 ans, affirme que son employeur a violé son droit à la vie privée en espionnant ses communications. L’entreprise avait repéré qu’il utilisait un service de messagerie instantanée pour dialoguer pas seulement avec ses contacts professionnels, mais aussi avec son frère et sa fiancée – ce que le règlement intérieur interdisait expressément.
La représentante du gouvernement roumain, Catrinel Brumar, fait valoir par ailleurs que l’employeur ne s’était pas intéressé au « contenu » des messages échangés, mais seulement à leur « nature », c’est-à-dire à leur caractère privé. A l’inverse, les avocats du requérant ont argué que les salariés ne pouvaient pas « abandonner tout droit à la vie privée dès qu’ils passent la porte de l’entreprise ». L’ingénieur ne savait pas que ses communications étaient surveillées, son employeur ayant fait usage d’un logiciel espion, ont également souligné l’un des défenseurs.
Employeurs « Big Brother »
Dans ses conclusions, la Confédération européenne des syndicats (CES) – autorisée à déposer des observations écrites à l’attention des juges – reprend à son compte certains arguments avancés par le seul juge de la CEDH qui, en janvier, avait exprimé une opinion minoritaire et donné raison au requérant. En matière d’Internet au travail, ce juge avait relevé un « risque » que les employeurs « se comportent comme un “Big Brother” méfiant, épiant par-dessus l’épaule de leurs salariés » dont la vie personnelle serait ainsi « vendue » aux patrons.
Seul Etat tiers à avoir également déposé des observations écrites à la cour, la France a estimé que « dans la mesure où les salariés sont informés au préalable de l’existence d’un contrôle de l’employeur, un tel contrôle occasionne une ingérence au droit au respect de la vie privée qui reste proportionnée au but légitime qu’il poursuit ».