Aux Récréâtrales de Ouagadougou, un choc des cultures fécond
Aux Récréâtrales de Ouagadougou, un choc des cultures fécond
Par Agathe Charnet (à Ouagadougou)
Début novembre, dans la capitale burkinabée, quelques étudiants européens ont eu la chance de participer à l’un des plus grands festivals de spectacle vivant d’Afrique de l’Ouest.
Louisa (première en partant de la gauche) et ses camarades scénographes de l’HEAR et de La Cambre, dans la rue des Récréâtrales. | Inès Coville
« C’est sûr que depuis qu’on est ici on n’a pas beaucoup vu notre lit ! » Cheveux tirés en arrière en une myriade de tresses, peau hâlée par le soleil, Louisa Mercier déborde d’enthousiasme. La jeune étudiante en scénographie à la Haute école des arts du Rhin (HEAR), en Alsace, achève un stage de presque deux mois à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Avec trois autres élèves de sa promotion, elle travaille aux Récréâtrales, l’un des plus importants festivals de spectacle vivant d’Afrique de l’Ouest. Nettoyage de la rue où se déroule l’événement, installation d’œuvres d’art éphémères et aménagement des lieux de représentation, les dynamiques stagiaires ont été sur tous les fronts. Le résultat d’une première collaboration entre la HEAR et le festival, qui fait l’unanimité. « On voit émerger de très belles choses ici, raconte Mélanie Giraud, une camarade de Louisa. Ça renverse tout ce qu’on connaissait de la scénographie : on se rend compte qu’avec très peu de moyens, tout est possible ! »
Les élèves de la HEAR n’étaient pas les seuls étudiants européens invités à prendre part à cette neuvième édition des Récréâtrales, du 29 octobre au 5 novembre. Dans les rues ocre de Ouagadougou, on croise des élèves metteurs en scène et dramaturges de l’école du Théâtre national de Strasbourg (TNS), cinq acteurs de la Comédie de Saint-Etienne et des scénographes de l’Ecole nationale supérieure des arts visuels de La Cambre, en Belgique.
Un décentrement essentiel
Le reflet d’une volonté délibérée des écoles de s’ouvrir à l’international et d’initier leurs élèves à de nouvelles pratiques artistiques. A l’heure où la mondialisation vient frapper à la porte des théâtres, hors de question de rester claquemuré sur les scènes françaises. « Il est très important que nos élèves aient des expériences avec des artistes étrangers, explique Arnaud Meunier, directeur de l’école de la Comédie de Saint-Etienne, qui a œuvré durant trois ans à ce partenariat. Qu’ils vivent un décentrement afin de produire d’autres récits, des histoires dénuées d’ethnocentrisme. Sous nos yeux, c’est une nouvelle génération qui se rencontre, des projets qui vont naître ! »
Pour les apprentis comédiens stéphanois, c’est une collaboration des plus internationales qui s’achève. Ecrite par Hakim Bah, un jeune auteur guinéen, Gentil petit chien, la pièce qu’ils ont présentée au festival, a été mise en scène par le directeur des Récréâtrales, le Burkinabé Aristide Tarnagda, tandis que quatre comédiens venus du Burkina Faso, de République démocratique du Congo et du Rwanda se sont joints à l’aventure, multipliant les allers-retours entre la France et Ouagadougou. Un croisement des origines et des personnalités avec lequel il a fallu composer.
Représentation de Gentil Petit Chien aux Récréâtrales, de gauche à droite: le congolais David-Minor Ilunga et les stéphanoises Lou Chrétien-Février et Alicia Devidal | Inès Coville
« Ça a été un vrai choc des cultures, décrit Arthur Amard, 25 ans, en troisième année à la Comédie. Nous avons découvert de nouveaux auteurs, de nouvelles écritures, mais aussi une autre façon de travailler et d’aborder le théâtre. »
La terre battue comme scène
Le jeune homme a été particulièrement marqué par la singularité des Récréâtrales. En effet, les familles d’un quartier populaire de Ouagadougou accueillent chez elles, durant plus d’un mois, répétitions et représentations. La terre battue fait alors office de scène et les enfants du quartier, fascinés, s’improvisent souffleurs. « Cette expérience nous invite à sortir de notre petit milieu, à ne pas faire du théâtre qu’entre “théâtreux”, s’exclame Arthur Amard. Ça me donne envie de faire la même chose en France, de créer un festival dans un village par exemple ! » Pour son comparse Simon Terrenoire, 26 ans, les Récréâtrales sont une révolution. « Cette expérience me bouleverse, explique le jeune homme. En tant qu’artiste, mais surtout en tant que citoyen. Avec les artistes des Récréâtrales, qui sont devenus des amis, nous avons parlé de tout, sans tabou. Y compris de politique, du néocolonialisme et de notre place ici, en tant que jeunes comédiens français. »
Une réflexion sans concession sur l’histoire commune de la France et de l’Afrique de l’Ouest qui est primordiale, selon Stanislas Nordey, directeur de l’école du TNS. Trois de ses élèves sont venus en spectateurs au festival, le prélude à une future collaboration artistique résolument dirigée vers l’Afrique francophone. « Au TNS, nous travaillons énormément sur la question de la diversité lors du recrutement de nos élèves, martèle Stanislas Nordey. Le fait que, demain, les jeunes acteurs et metteurs en scène issus de l’immigration récente vont être de plus en plus présents sur les scènes rend ce lien avec l’Afrique francophone indispensable. »
Un dossier spécial et un Salon étudiant pour choisir sa formation artistique
Retrouvez notre dossier spécial consacré aux formations artistiques, publié progressivement sur Le Monde.fr et dans un supplément publié dans Le Monde daté de jeudi 1er décembre, avec des analyses, des reportages dans les écoles ainsi que des témoignages d’étudiants.
Des informations à compléter lors du Salon des formations artistiques, organisé par Le Monde et Télérama, qui se tiendra les 3 et 4 décembre à Paris, grâce aux conférences et aux ateliers, et en rencontrant des responsables et des étudiants des nombreuses écoles représentées. Entrée gratuite, préinscription recommandée.