Manifestation contre la corruption à Rio de Janeiro, le 4 décembre. | YASUYOSHI CHIBA / AFP

La plupart étaient déjà dans la rue il y a un an, portant les mêmes tee-shirts jaune et vert aux couleurs du Brésil. A l’époque, il s’agissait de réclamer l’« impeachment » (la destitution) de la présidente Dilma Rousseff, du Parti des travailleurs (PT, gauche). Ce dimanche 4 décembre, leur cible a changé, pas leur écœurement.

« Le peuple est fatigué », grondait depuis un char, l’un des intervenants du Movimento Brasil Livre (mouvement Brésil libre, MBL) qui fut actif dans la mobilisation pro-impeachment à Sao Paulo. Dans la capitale économique, comme à Rio de Janeiro et dans la plupart des grandes villes du pays, des milliers de manifestants se sont amassés ce jour-là pour défendre « Lava-Jato » (lavage express) nom de l’opération judiciaire qui a mis au jour le gigantesque scandale de détournement de fonds impliquant des cadres du groupe public pétrolier Petrobras, des grands noms du bâtiment et des travaux publics (BTP) et, surtout, des dizaines et des dizaines de dirigeants politiques.

L’origine de la colère de ces Brésiliens est, paradoxalement, un projet de dix mesures visant à lutter contre corruption, voté dans la nuit du mardi 29 au mercredi 30 novembre par la Chambre des députés. De fait, loin d’adouber la proposition initiale, les députés ont dévoyé le texte, le dénaturant et y ajoutant une mesure visant à lutter contre les « abus du pouvoir judiciaire ». Une mesure d’« intimidation » envers les magistrats, aux yeux des équipes en charge de « lava-Jato » qui ont menacé de cesser leur travail d’investigation si le dispositif était approuvé.

Le président du Sénat cité dans diverses enquêtes

« Une honte », s’étouffe Roberto Livianu, président de l’ONG Nao aceito corrupçao (« Je n’accepte pas la corruption ») rappelant que la manœuvre des députés a eu lieu « pendant que le pays pleurait » la mort, dans un crash aérien, de la quasi totalité de l’équipe de football de Chapecoense de Santa Catarina, dans le sud du Brésil.

A quelques jours du passage du dispositif au Sénat, les manifestants mettent en garde la chambre haute. « Nous sommes là pour exiger que le sénat barre ce texte qui a été défiguré », explique Kim Kataguiri, jeune libéral à la tête du MBL tandis que la rue crie « Fora Renan ! Fora Renan ! » (« dehors Renan »), scandant le nom du président du Sénat, Renan Calheiros, du parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre).

Le président du Sénat, mis en examen par la cours suprême le 1er décembre, est cité dans diverses enquêtes liées à « Lava-Jato ». D’aucuns suspectent que le projet visant à lutter contre les abus du pouvoir judiciaire ne soit une mesure que cet expert des coulisses de Brasilia ait mise sur pied pour se protéger - à l’instar d’une kyrielle d’autres parlementaires- de la pugnacité des juges, en particulier de Sergio Moro, en charge de Lava-Jato.

« Tout le monde finira en prison »

Officiellement, l’actuel président, Michel Temer, n’est pas en cause. Mais les manifestants ne masquent guère leur rancœur. « Ils sont tous corrompus, tout le monde finira en prison ! », présage Marcos Tomio, consultant commercial. « Cette manifestation est un avertissement, pour dire Temer, réveille-toi ! », enchérit Douglas Lima, quadragénaire à la tête d’une entreprise d’import-export.

Propulsé à la tête du pays en mai, lors de l’éloignement temporaire de Dilma Rousseff, puis confirmé dans ses fonctions présidentielles en août, lors de la destitution de l’ancienne chef d’Etat, Michel Temer, n’a pas réussi à convaincre qu’il était l’homme que le Brésil attendait.

Sans légitimité électorale, impopulaire, le septuagénaire a mis en place un gouvernement où règnent soupçons de corruption, trafics d’influence et conflits d’intérêt. Autant de scandales qui l’ont obligé à accepter en moins de six mois la démission de six de ses ministres. Fuyant la foule de peur des huées, l’homme ne s’est décidé qu’à la dernière minute, sous la pression des familles ulcéré par sa couardise, à venir rendre hommage aux disparus de l’équipe de Chapecoense, samedi. Il y fut accueilli par un silence glacial.

Censé stabiliser la situation politique et relancer la croissance économique, le président ne remplit pleinement aucune de ses missions. Les milieux d’affaires s’impatientent de l’atonie de l’économie tandis que les délations à venir de Marcelo Odebrecht, héritier du groupe de BTP éponyme et de plusieurs de ces cadres, protagonistes du scandale Petrobras (qui ont négocié leurs aveux contre des remises de peine) promettent de provoquer un nouveau tsunami à Brasilia. « La délation de la fin du monde » selon les médias susceptibles d’éclabousser Michel Temer.

Déçus, tentés par le « tous pourris » les Brésiliens menacent d’aborder 2017 comme ils ont entamé 2016 : dans l’exaspération des élites au pouvoir.

Dilma Roussef : « Je n'ai commis aucun crime »
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