L’idée paraît simple : donner à chaque patient atteint d’un cancer un traitement personnalisé et éviter ainsi les cures inutiles ou entraînant trop d’effets secondaires. Le processus de recherche sur lequel s’appuie cette idée est, en revanche, beaucoup plus complexe. Il fait appel à l’intelligence artificielle (IA) et à des algorithmes capables de corréler les caractéristiques de chaque malade à l’efficacité des traitements à partir d’une base de données de 140 000 patients.

Rapidité d’action

En plus d’être oncologue et chercheur, Jean-Emmanuel Bibault, 33 ans, se définit comme un « autodidacte », tombé dans l’informatique tout petit. « Je créais des pages Web pour m’amuser quand j’étais au collège. Quelques années plus tard, pendant mes études de médecine, pour rendre service à l’association des internes, j’ai conçu une première appli. Puis j’en ai développé une autre pour détecter les signes de cancer du poumon, que j’ai revendue à une entreprise israélienne. » Une rapidité d’action qui tranche avec le tempo de la recherche médicale, qui propose de nombreux appels d’offres pour l’utilisation de nouvelles molécules mais « où il est difficile d’obtenir des financements pour la recherche en intelligence artificielle », explique le chercheur du Centre de recherche des Cordeliers, à Paris. Sans compter, ajoute-t-il, les « craintes et fantasmes » que suscite l’IA chez les médecins.

Comme Jean-Emmanuel Bibault, des dizaines de personnes ont répondu à l’appel à témoignages « Vous révolutionnez votre métier avec des algorithmes » lancé par Le Monde.fr. Témoins ou acteurs d’un phénomène qui s’amplifie, ils ont raconté leur histoire singulière au moment de l’arrivée massive des algorithmes, de l’IA et du big data dans tous les ­secteurs professionnels : finance, logement, transport, médecine, agriculture…

Au cœur de cette révolution technologique, ceux qui créent se considèrent souvent comme des « autodidactes ». Alexandre ­Girard, 31 ans, a commencé par créer des sites Web à l’adolescence pour les commerçants de son quartier parisien, récoltant un peu d’argent de poche au passage. Des années et une école d’ingénieurs plus tard, il est employé par une société de services en ingénierie informatique et travaille dans le secteur de la grande distribution. Mais son credo demeure le commerce de proximité. « J’ai fait plusieurs tentatives. D’abord j’ai créé un site qui permettait aux ­étudiants de revendre leur matériel. En médecine, par exemple, les bistouris neufs coûtent 700 euros. Mais Leboncoin est arrivé. Puis j’ai imaginé répertorier des bons plans et réductions. Mais Groupon est arrivé. » Il a donc inventé Stopcarotte.com, un site qui compare les prix des produits dans son quartier, du café en terrasse au lissage brésilien en passant par les croissants à la boulangerie. « J’ai recréé un référentiel permettant aux consommateurs de comparer les prix des produits de proximité qui n’ont pas de code-barres. »

Ce bouillonnement technologique est aussi directement connecté à l’intime. Thibault Duchemin, 24 ans, ingénieur des Ponts et Chaussées, étudiant à l’université de Californie à Berkeley, raconte avoir découvert l’IA un peu par hasard. « Je suis né seul entendant dans une famille sourde, j’ai développé une IA qui permet aux malentendants de comprendre ce qui se dit dans une conversation en temps réel. »

Questions millénaires

Parfois, il s’agit aussi de répondre à des questions millénaires : « Pourquoi les récoltes de cette année ont été faibles ? Quelles variétés semer l’an prochain ? » Sylvain Delerce, 31 ans, agronome et chercheur à Cali (Colombie) au Centre international de l’agriculture tropicale, utilise des algorithmes pour répondre à ces questions. « Nous analysons les données de centaines de milliers de champs et nous pouvons identifier les principaux facteurs limitants du rendement ou de la qualité. Pour cela, nous utilisons des algorithmes de machine learning – l’apprentissage des machines. »

Mais dans ce monde en rupture permanente, les compétences sont vite menacées d’obsolescence. « Je suis développeuse informatique et je n’arrive plus à suivre les mutations trop rapides de mon métier. J’ai essayé l’autoformation mais j’ai toujours un train de retard », regrette, amère, Audrey, 35 ans, qui se déclare au chômage et se présente sous un pseudonyme. Car l’omniprésence des technologies ne signifie pas qu’on maîtrise le raisonnement algorithmique. « Tout le monde n’est pas à égalité dans ce monde-là. L’origine sociale contribue nettement à la fracture numérique », ajoute Raja Chatila, roboticien spécialiste de l’IA. Avant d’apprendre à programmer, « il faut pouvoir être en mesure de raisonner et avoir une solide culture en philosophie, en maths et en littérature », prévient-il. Avant d’inventer le monde demain, mieux vaut une robuste culture du monde d’hier.

Le premier jour, deux conférences d’O21 seront consacrées à ces questions : « Trouver ma place dans un monde de robots » à 14 heures et « Big data, code, Internet des objets… les clés du nouvel eldorado ? », à 16 heures. Retrouvez le programme complet et inscrivez-vous ici.