L’écrivaine ghanéenne Elizabeth Ohene a relevé une curieuse corrélation entre la présidentielle américaine et celle de son pays. Depuis l’introduction des élections libres en 1992, à chaque fois qu’un démocrate l’a emporté aux Etats-Unis, le scrutin ghanéen est revenu au Congrès national démocratique (NDC). A l’inverse, lorsqu’un républicain est devenu locataire de la Maison Blanche, un représentant du Nouveau parti patriotique (NPP) a pris possession de la Flagstaff House, le palais présidentiel d’Accra, la capitale.

Si les Ghanéens, appelés aux urnes mercredi 7 décembre, suivent cette tendance, l’actuel président, John Dramani Mahama (NDC), 58 ans, devrait s’incliner face à son rival, Nana Akufo-Addo (NPP), 72 ans, qui se présente pour la troisième fois. Parvenu au pouvoir par intérim en 2012 suite au décès soudain du président John Atta Mills, M. Mahama avait été élu la même année, avec 50,7 % des voix. Cette courte majorité avait incité M. Akufo-Addo à contester le résultat devant la Cour suprême, en vain.

La police préoccupée

Si l’alternance politique s’opérait jusque-là de manière pacifique, les tensions entre les deux partis n’ont fait que croître depuis 2012, faisant redouter aux autorités des effusions de sang dans le cas où le perdant ne reconnaîtrait pas sa défaite. Un scénario plausible puisque les sondages placent les deux favoris à égalité. Le chef de la police ghanéenne s’est même ouvertement inquiété des activités de jeunes militants des partis qui atteignent des « proportions dangereuses ».

La tension régnante a poussé les sept candidats en lice à s’engager, devant la présidente de la Cour suprême, Georgina Wood, à respecter l’issue du vote populaire et à refuser le recours à la violence. Lors de cette cérémonie symbolique, le président en exercice a déclaré : « Notre démocratie est trop précieuse pour être dilapidée par une quête débridée en vue d’accéder au pouvoir ou de le conserver. »

La stabilité des institutions ghanéennes fait figure d’exception dans une région coutumière des turbulences politiques. Les Etats adjacents ou géographiquement proches ont tous connu récemment des troubles, qu’il s’agisse de la Guinée, de la Côte d’Ivoire, du Burkina Faso ou du Mali tandis qu’au Togo, la même famille trône à la tête du pays depuis 1967.

Inflation à deux chiffres

Ancienne colonie britannique, le Ghana se distingue aussi de ses voisins par son indépendance monétaire. Mais les fluctuations de sa devise, le cedi, témoignent de sa fragilité, contrairement au franc CFA, arrimé à l’euro. La croissance reste positive même si elle a chuté durant les quatre ans de mandat de M. Mahama et que le pouvoir d’achat des ménages continue d’être dévoré par une inflation à deux chiffres. Les prix des carburants et des denrées alimentaires sont en hausse constante.

Cette situation pénalise aussi les investissements, la Banque centrale du Ghana ayant dû durcir les conditions de crédit, à tel point que les banques prêtent au taux prohibitif de 33 % ! Difficile, dans ce contexte, de doper l’emploi industriel, comme promet de le faire M. Akufo-Addo avec le slogan « un quartier, une usine », s’il accède à la fonction suprême.

Par ailleurs, le pays souffre de la baisse de ses principaux revenus d’exportation, depuis la chute des cours durant l’été 2014 du pétrole brut, de l’or et du cacao. Ces difficultés ont contraint l’actuelle majorité à solliciter l’aide du Fonds monétaire international (FMI), qui a octroyé en avril 2015 un prêt de 918 millions de dollars (855 millions d’euros) conditionné à des réformes.

Coupures de courant chroniques

L’un des défis majeurs auxquels sera confronté le prochain président, et qui est aussi le fardeau du bilan du président sortant, est celui de l’énergie. La demande en électricité s’accroît de 10 % par an, tandis que les sources domestiques d’approvisionnement déclinent, faisant planer « une menace majeure » sur le potentiel de croissance.

En principe, les quelque 27 millions de Ghanéens peuvent se réjouir d’un accès à l’électricité largement supérieur à la moyenne continentale (62 % contre 35 % pour le continent, selon le FMI). Dans les faits, durant le mandat de M. Mahama, cette statistique a été mise à mal. Les coupures de courant devenues chroniques portent maintenant un nom, « dumsor », qui signifie « on-off » en akan. Peu sont donc ceux qui croient le président sur parole lorsqu’il affirme que son pays deviendra exportateur net d’ici 2020.

Le réseau électrique est aussi affecté par les problèmes de gouvernance qui minent les sociétés d’Etat, comme la Compagnie ghanéenne d’électricité (ECG), chargée de la distribution, et la Volta River Authority (VRA), le principal producteur. A leur endettement structurel s’ajoute un problème d’approvisionnement, puisque la VRA fait face à une baisse constante du niveau du lac Volta, d’où est produite l’électricité du barrage d’Akosombo.

La source hydroélectrique se tarit donc, et sans être compensée, comme espéré, par l’approvisionnement en gaz. Sur le plan intérieur, la production du gisement offshore Jubilee, en service depuis 2010, est en deçà des prévisions tandis que, sur le plan extérieur, l’acheminement par le gazoduc reliant le Nigeria et le Ghana a été totalement stoppé après trois années d’interruptions à répétition en raison d’endommagements de l’infrastructure. Le pays est ainsi contraint de procéder à des achats massifs de fioul, notamment pour alimenter les générateurs privés, devenus indispensables face aux pénuries. Un fioul non seulement polluant mais aussi très onéreux, ce qui contribue au déséquilibre de la balance des paiements.