A Bruxelles, « M. Brexit » demande aux Britanniques de presser le pas
A Bruxelles, « M. Brexit » demande aux Britanniques de presser le pas
Par Philippe Bernard (Londres, correspondant), Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)
Michel Barnier se donne dix-huit mois pour négocier avec Londres.
Michel Barnier, le 6 décembre à Bruxelles. | FRANCOIS LENOIR / REUTERS
Que le gouvernement britannique se le tienne pour dit, lui qui semble plongé dans la plus grande confusion à propos du futur Brexit : l’Union européenne, elle, « est prête à négocier », a prévenu Michel Barnier mardi 6 décembre. Pour sa première allocution publique depuis sa prise de fonctions en octobre, le Français, ex-commissaire européen chargé du marché intérieur devenu le « M. Brexit » de la Commission, a voulu rendre compte des préparatifs de Bruxelles en vue de la négociation du divorce avec le Royaume-Uni, et expliquer l’esprit dans lequel l’institution communautaire entend la mener.
Les journalistes britanniques à Bruxelles se demandaient s’il allait s’exprimer « en français ou en anglais ». M. Barnier n’a pas bonne presse au Royaume-Uni, où il est souvent présenté comme « un Français, partisan d’une ligne dure ». Mardi, il a choisi de commencer par l’anglais et s’est défendu d’être un « dur » à l’égard de Londres. « Franchement, je ne sais pas ce que c’est qu’un “hard” ou un “soft” Brexit, a-t-il affirmé. Je peux juste vous dire ce qu’est un Brexit : un accord clair, négocié dans le temps limité, qui prenne en compte les intérêts des Vingt-Sept et préserve leur unité. »
M. Barnier a expliqué avoir consacré deux mois à faire le tour des capitales européennes pour recueillir leurs doléances et inquiétudes liées aux Brexit. Il en a visité dix-huit et terminera son périple au début de 2017. Le chef négociateur s’attend à ce que Londres déclenche le processus de sortie avant la fin mars 2017, conformément à la promesse de la première ministre, Theresa May. « Le temps presse », a-t-il prévenu, car même si la procédure de divorce est limitée à deux ans par l’article 50 du traité de Lisbonne, l’accord devra avoir été finalisé dès octobre 2018. « Nous aurons tout au plus dix-huit mois pour négocier un accord », a précisé M. Barnier, puisque le texte devra ensuite être avalisé par le Conseil européen, le Parlement européen et le Parlement britannique.
« Vent favorable »
Cette limitation à dix-huit mois, au lieu des deux ans généralement évoqués, a été mise en exergue comme une surprise et une nouvelle contrainte posée par Bruxelles, par une presse britannique qui tend à découvrir ces temps-ci que les Européens sont plus unis que prévu. « C’est la première fois que j’entends cela », a réagi le porte-parole de Downing Street, en soutenant que les déclarations de M. Barnier « n’avaient pas été au centre des préoccupations du jour » de Mme May. Quant à l’imprévisible Boris Johnson, ministre des affaires étrangères, il a semblé s’accommoder de ce rythme accéléré : « Avec un vent favorable et tout le monde au travail dans un esprit positif de compromis, je suis certain que nous pouvons obtenir un bon accord pour le Royaume-Uni et le reste de l’Europe ».
Pourtant, a prévenu M. Barnier, « nous entrons dans des eaux inconnues, le travail sera légalement complexe, politiquement sensible et aura des conséquences importantes pour nos populations et nos économies », ajoutant en anglais : « Keep calm and negociate. » Signe de nervosité, certains médias britanniques ont vu dans cette expression une désagréable allusion à l’affiche de propagande de Londres – « Keep calm and carry on » (« Gardez votre calme et tenez bon ») – destinée à soutenir le moral des Anglais pendant le Blitz mais finalement retirée car jugée alarmiste et condescendante.
Sur l’esprit dans lequel l’Union aborde les discussions à venir, M. Barnier a rappelé que la priorité des Vingt-Sept est de rester unis. Alors que certains responsables britanniques espèrent ouvertement obtenir « le beurre et l’argent du beurre », le négociateur a affirmé qu’il n’est pas concevable qu’un pays sorti de l’Union jouisse des mêmes droits qu’un pays membre. Enfin, l’accès au marché unique est conditionné aux quatre libertés de circulation (marchandises, personnes, capitaux et services) qui sont indissociables les unes des autres.
A propos de la période transitoire réclamée par les milieux économiques britanniques, qui craignent une rupture brutale après le divorce si un accord commercial n’a pas été trouvé au bout des deux ans, M. Barnier a déclaré : « On devra négocier le retrait ordonné du Royaume-Uni en tenant compte de ce que sera sa future relation avec l’UE. Mais c’est à Londres de nous donner ses intentions. Tant que nous ne les avons pas, impossible de dire si une période transitoire sera pertinente ou pas. »
Au même moment, s’exprimant depuis un bâtiment de la Navy à Bahreïn, Mme May, a de nouveau éludé la question du choix entre Brexit « hard » et « soft » (sortie ou non du marché unique européen), appelant de ses vœux « un Brexit rouge, blanc et bleu », les couleurs nationales. Mais, la première ministre, soucieuse de désamorcer la rébellion de députés tories excédés par son silence sur ses objectifs et par son souhait de contourner le Parlement, a semblé ensuite lâcher un peu de lest. Alors que certains élus conservateurs menaçaient de voter mercredi avec le Labour une motion critique, elle a promis qu’elle révélerait quelques éléments de sa stratégie avant de lancer, en mars 2017, la procédure du Brexit.