La dérive mafieuse de l’Etat malien racontée par le film « Wulu »
La dérive mafieuse de l’Etat malien racontée par le film « Wulu »
Par Laurent Bigot (chroniqueur Le Monde Afrique)
Notre chroniqueur dénonce la déliquescence du Mali et les mensonges des politiques qui masquent la réalité au peuple malien.
Une image du film du Malien Daouda Coulibaly, « Wulu », et son acteur, Ibrahim Koma, qui joue le rôle de Ladji. | DR
Wulu, le film de Daouda Coulibaly a été projeté au Forum des images dans le cadre du festival « Un état du monde… et du cinéma » qui s’est déroulé à Paris du 18 au 27 novembre. Wulu est un film engagé et courageux sur la dérive de Ladji, jeune Malien qui se perd dans un trafic de drogue. Tout est dit dans ce film au jeu d’acteur dépouillé qui sonne juste.
Ladji (Ibrahim Koma) est victime de népotisme. Il n’obtient pas son emploi de chauffeur après plusieurs années passées en tant qu’apprenti. Tel est le fonctionnement de la société malienne, où le mérite ne constitue plus pour les jeunes une voie pour réussir. Seuls ceux qui sont bien nés ou proches de l’élite politique et économique ont un avenir. La tentation des chemins de traverse est alors forte pour tous les autres… Elle l’est d’autant plus que la corruption a atteint le plus haut sommet de l’Etat et de la société malienne, comme ose le filmer Daouda Coulibaly.
Hypocrisie et aveuglement
Cet effondrement moral s’est manifesté par la chute du président Amadou Toumani Touré (ATT) en 2012, renversé par un coup d’Etat à moins de deux mois de la présidentielle à laquelle il ne se présentait pourtant pas. C’est d’ailleurs en rappelant cet épisode de l’histoire récente du Mali que Daouda Coulibaly conclut son film, juste après la scène finale.
C’est aussi à partir de cette conclusion que le débat peut commencer. Plus de quatre ans après la chute du président ATT, qui a plongé le Mali dans une grave crise politique et sécuritaire, le Mali en est où ? Wulu, qui signifie « chien » en bambara, désigne aussi le dernier degré d’initiation d’une société secrète à partir duquel l’individu initié devient lucide et connaît sa place dans la société. Le Mali a-t-il accédé à cette lucidité pour désormais savoir où il en est ? A observer ceux qui le dirigent, on peut en douter.
Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) a été élu en 2013 avec un programme qui annonçait le retour de l’autorité de l’Etat. Son exercice du pouvoir n’aura fait que poursuivre la déliquescence d’un Etat et d’une classe politique aujourd’hui totalement dévoyés. Les défis à relever étaient et restent nombreux. Même si le Mali ne peut y faire face seul, il n’a aucune chance d’espérer y parvenir si ses dirigeants ne font pas leur part du travail.
Moins d’un an après son élection, IBK s’est vite trouvé empêtré dans le scandale de l’achat de l’avion présidentiel – acheté pour 40 millions de dollars dans des conditions opaques – et d’équipements militaires, provoquant la suspension des décaissements du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Ces institutions ont repris leurs activités après des ajustements cosmétiques de la part du pouvoir malien, dont la gouvernance n’est pas pour autant devenue plus vertueuse.
Le rapport détaillé du vérificateur général (l’équivalent de la Cour des comptes au Mali) sur cette affaire est édifiant. Il montre à quel point une logique mafieuse prévaut dans l’appareil d’Etat et ce en toute impunité avec la complicité des plus hauts échelons. A la chute d’ATT en 2012, la communauté internationale avait feint la surprise face à la faillite de l’élève modèle, dont les mérites avaient été tant vantés pendant des années. Depuis l’élection d’Ibrahim Boubacar Keïta, sous l’impulsion de la France notamment, l’aveuglement et l’hypocrisie sont de nouveaux les grands principes de la communauté internationale.
Pouvoirs « kleptocrates »
On peut affirmer aujourd’hui que le Mali ne s’est pas relevé. Pis, il continue de s’enfoncer. Le constat que je faisais lors d’une conférence à l’Institut français des relations internationales (IFRI) en juin 2012 reste d’actualité, malheureusement. Malgré cela, le président Hollande n’hésite pas à faire de ce pays le symbole de la réussite de sa politique africaine. Si on peut tromper l’opinion publique française avec quelques éléments de langage, il est difficile de faire avaler des couleuvres aux Maliens qui constatent tous les jours à quel point le Mali est devenu otage de logiques mafieuses. Ils en déduisent que la France est une complice active. François Hollande, lors de son discours au sommet de la Francophonie à Madagascar le 26 novembre, a déclaré que « nous n’avons pas le droit d’abandonner des jeunes sans repères (…) abandonnés ainsi aux mensonges des mouvements fondamentalistes ».
Les mensonges des mouvements fondamentalistes répondent aussi aux mensonges officiels des pouvoirs « kleptocrates » que la communauté internationale soutient aveuglément. Il ne revient ni à la France ni à la communauté internationale de sauver le Mali de lui-même mais la décence commande au moins de tenir un langage de vérité. C’est probablement la meilleure façon de respecter le peuple malien plutôt que de lui offrir les actuels discours convenus qui font de leurs auteurs non pas des sauveurs mais des complices.
Ma conviction intime depuis plusieurs années est qu’il revient aux Maliens d’écrire la solution à la crise et à personne d’autre. Le sursaut moral tant attendu ne s’est toujours pas produit. Le penseur indien Krishnamurti trace la voie de cette révolution morale : « La société en soi n’existe pas. La société est ce que vous et moi, dans nos relations réciproques, avons créé ; c’est la projection extérieure de tous nos états psychologiques intérieurs. Par conséquent, la vraie révolution ne peut avoir lieu que lorsque vous, l’individu, devenez lucide dans vos rapports avec autrui. » La prise de conscience sera donc individuelle et la mobilisation collective pour renverser un ordre qui a failli dans sa mission. Le film de Daouda Coulibaly est le cri du cœur d’un citoyen engagé. Il est projeté à Bamako ce jour, jeudi 8 décembre.