Trouver un métier qui a du sens
Trouver un métier qui a du sens
Par Adrien de Tricornot
Le besoin de se sentir utile à la société et en accord avec soi-même n’est pas exclusif aux métiers de service et devient prépondérant dans les choix d’orientation.
Cours de français par une orthophoniste, à l’école laïque du chemin des dunes, dans l’ancienne jungle de Calais. AFP PHOTO / FRANCOIS LO PRESTI | FRANCOIS LO PRESTI / AFP
« On est une génération assez mobile et adaptable. Comme rien n’est certain, autant essayer de faire ce qui nous plaît », explique Aurélie Rose, ex-responsable commerciale dans les télécommunications désormais chargée de collecter des fonds dans une organisation caritative. Le goût des jeunes pour l’entrepreneuriat social ou l’économie sociale et solidaire est attesté par de nombreuses études. Trouver du sens dans son métier est une motivation importante, ce que reflète le succès de l’appel à témoignages lancé par LeMonde. fr sur ce thème. Elle est souvent associée à une mission directement au service des autres. Mais pas exclusivement.
Coup de cœur
Quand elle est entrée chez les pompiers volontaires à 19 ans, Sandra Rossi, étudiante en arts plastiques à Aix-en-Provence, est « tombée amoureuse, comme d’un garçon qu’on rencontre au coin de la rue. Aujourd’hui, je ne pourrais pas faire un autre métier ». Elle a réussi le concours et exerce à Marignane. « Ce qui me touche le plus, c’est la misère sociale : nous intervenons beaucoup moins sur des gestes de secours que sur des appels de gens qui ne savent plus où se tourner. » Elle aime aussi le côté « galvanisant » du départ en urgence pour aller combattre les feux. Une sensation d’être utile qui ne laisse aucune place à la peur.
Orthophoniste à Paris, Raphaëlle Strauss a aussi eu un coup de cœur. Passionnée de littérature, elle travaillait dans l’édition après un master professionnel. Mais elle avait « besoin d’œuvrer pour quelque chose ». Le film de Julian Schnabel Le Scaphandre et le Papillon, en montrant « combien la vie d’un homme bascule parce que le cerveau, à la suite d’un accident vasculaire, n’est plus fonctionnel », a tout changé. Quatre ans plus tard, elle est diplômée d’orthophonie. « La vraie satisfaction, c’est qu’il y a des gens dont ça change la vie : on le voit dans le regard des parents, on le voit avec des adultes qui, touchés par une aphasie, retrouvent petit à petit la parole… C’est une grande émotion, et le côté humain est pour moi au-dessus de tout. »
« Ce que je fais aujourd’hui dans l’écoute, en étant présent, en mettant en œuvre des thérapies cognitives et comportementales, c’est clairement la meilleure façon de donner aux autres », abonde Bastien Battistini, infirmier dans une clinique psychiatrique de la région de Metz. Guitariste depuis le plus jeune âge, cet ultrasensible a d’abord étudié les arts du spectacle et l’histoire de l’art. Mais l’art, son exutoire, ne lui a plus suffi. La proximité avec son frère, infirmier libéral, lui a mis la puce à l’oreille. Il est devenu infirmier. Mais il dit : « Ce que je fais, ce n’est pas une vocation, c’est juste normal de le faire. Et c’est autant purement égoïste que purement altruiste : quand je pense aux autres, je ne pense pas à moi ! »
Utilité concrète
Car c’est moins le métier que la façon de l’exercer qui donne du sens. Julie Lecardonnel, assistante d’éducation, est ainsi devenue tapissière décoratrice dans une démarche écocitoyenne : elle fait « du neuf avec du vieux ». Ses « bonnes notes », pourtant, l’avaient menée vers la fac. « Mais je me suis vite rendu compte que j’étais très manuelle et je ressentais cruellement un besoin de création. » C’est au CFA de Joué-lès-Tours qu’elle a trouvé son métier et obtenu son brevet technique des métiers (BTM) de tapisserie, en alternance dans un atelier de tissu à Orléans. « Il y a des métiers dont il est très évident qu’ils ont du sens, comme médecin ou infirmier. Le mien est très décrié. Les gens râlent toujours », témoigne aussi François Beillard, syndic à Pau. « Mais, quand on a la chance d’avoir la confiance qui s’instaure entre les clients et nous, notre relation dépasse le cadre de la gestion d’un appartement, ils nous demandent des conseils dans bien d’autres domaines. Et faire un ravalement, ça embellit la ville », ajoute ce titulaire de deux masters de droit.
Une utilité concrète que met également en avant Hélène Frogneux, urbaniste-programmiste : « Certes, on ne sauve pas de pingouins, mais on contribue à faire des projets soutenables et utiles. » Cette passionnée de géographie, diplômée de l’Ecole d’urbanisme de Paris à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée, travaille dans un bureau d’études sur des projets d’équipements et d’aménagements urbains. « Il faut dialoguer avec tous les futurs utilisateurs des bureaux, des écoles ou des supermarchés, prévoir l’ergonomie des lieux ou analyser la dimension des projets pour que l’argent public soit bien utilisé… », explique-t-elle.
« Moi, quand je vais au travail, j’ai l’obligation absolue d’amener chacun de mes avions à destination avec 100 % de sécurité », conclut Thomas Le Parlier, aiguilleur du ciel au CRNA de Reims, qui contrôle l’espace aérien du quart nord-est de la France. Ce métier, il y avait pensé, parmi d’autres, car il y avait un contrôleur aérien dans son entourage familial. « Nous avons une grosse responsabilité, à laquelle nous sommes formés. Il y a de l’adrénaline qu’il faut savoir doser et gérer », explique-t-il. Il y voit plutôt un avantage : une fois le travail terminé, le stress s’arrête jusqu’au prochain service. Le meilleur indice d’un métier qui a du sens ? On s’y sent à l’aise.
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