En juillet 1971, après une étape au Pakistan, le Conseiller national à la sécurité américain, Henry Kissinger, effectue un voyage secret à Pékin, un déplacement qui va modifier le cours des relations internationales. A la résidence d’Etat de Diaoyutai où il est accueilli, les slogans « Renverser les impérialistes américains et leurs chiens errants ! » sont toujours là. Son séjour s’achève par une annonce historique : le président Richard Nixon se rendra en Chine l’année suivante. Les Etats-Unis, jusqu’alors désignés comme les ennemis de la Chine communiste, font le calcul qu’en s’ouvrant à la Chine, ils feront pression sur l’Union soviétique et obtiendront un levier au Vietnam où ils sont toujours en guerre.

Une concession américaine

Pour cela, ils devront faire une concession sur l’une des exigences chinoises les plus fortes : Taïwan, où les troupes nationalistes de Tchang Kaï-chek se sont repliées en 1949 après leur défaite sur le continent face aux forces maoïstes. Depuis, deux Chine se disent légitimes : la République populaire, sur le continent, et la République de Chine, sur l’île de Taïwan – présente à l’ONU de 1950 à 1971.

En 1972, le président américain Richard Nixon et le premier ministre chinois, Zhou Enlai, rendent public un communiqué finalisé dans une salle du prestigieux hôtel Jinjiang, dans l’ancienne concession française de Shanghai. Le douzième paragraphe stipule : « Les Etats-Unis reconnaissent que tous les Chinois des deux côtés du détroit de Taïwan, maintiennent qu’il n’y a qu’une seule Chine et que Taïwan fait partie de la Chine. »

Rupture mais soutien

Sept années plus tard, sous la présidence de Jimmy Carter, Washington finalise ce basculement, établissant des relations diplomatiques formelles avec Pékin et les rompant avec Taïwan. En échange les Etats-Unis s’engagent en cette même année 1979 par une loi à défendre la sécurité de Taïwan en cas d’agression de la Chine continentale et à lui maintenir ses ventes d’armes. Des liens profonds persistent mais il n’y a plus depuis de rencontre au niveau des chefs d’Etat.

C’est cet équilibre auquel le président élu américain, Donald Trump, ne semble pas sensible. Après avoir accepté de prendre un appel de Tsai Ing-wen, la présidente taïwanaise, et rompu au passage avec plus de quatre décennies d’usages dans les relations sino-américaines, il tweetait le 3 décembre : « Intéressant comment les US vendent à Taïwan pour des milliards de dollars d’équipement militaire, mais je ne devrais pas prendre un appel de félicitations. »

La Chine a d’abord voulu prendre cette posture comme un signe de la méconnaissance par Donald Trump de la complexité des relations internationales – la presse officielle et la diplomatie chinoise ont mis un temps à monter au créneau.

Mais elle s’alarme aujourd’hui en constatant qu’il s’agit d’une posture sérieuse. M. Trump considère la reconnaissance américaine d’une seule Chine non comme un socle inamovible mais comme un levier de négociation à agiter en échange de concessions de la part de la Chine. Ce que le milliardaire a confirmé dimanche 11 décembre dans un entretien à Fox News, en déclarant :

« Je ne vois pas pourquoi nous devrions être tenus par une politique de Chine unique sauf si nous passons un accord avec la Chine sur d’autres choses, dont le commerce. »

Le moment est d’autant plus sensible du point de vue chinois qu’en parallèle, à Taïwan, un nouveau gouvernement se montre ambigu quant à sa lecture de cette même notion. Inquiets de l’influence croissante du continent sur leur économie et leur vie politique après huit années de rapprochement sous la présidence de Ma Ying-jeou et son parti – le Kuomintang –, les Taïwanais ont élu en janvier Tsai Ing-wen et sa formation – le Parti démocrate progressiste.

Mme Tsai a emporté la victoire à la présidentielle en promettant que Taïwan prendrait ses distances avec la Chine continentale. Elle refuse d’employer la formule de « consensus de 1992 », référence à une rencontre entre les deux agences chargées à Pékin et à Taipei des relations bilatérales. Depuis lors, les deux rives reconnaissent une Chine unique tout en conservant leur propre interprétation de ce terme.

Pour les partisans de Mme Tsai, la logique sous-jacente de l’entente de 1992 est une réunification à terme contrôlée par la puissante Chine populaire, qu’ils refusent. De sorte que lors de son discours d’investiture, en mai, Tsai Ing-wen s’est contentée de reconnaître le « fait historique » de la rencontre.

La bravade de M. Trump est le deuxième coup porté à ce que la Chine considérait comme un acquis cette année. Le porte-parole du ministère des affaires étrangères chinois, Geng Shuang, a rappelé lundi 12 décembre que la « Chine unique » est le « fondement politique » sans lequel coopérer est « hors de question ».

Se faisant toujours l’écho des vues les plus nationalistes, le Global Times passe en revue les représailles envisageables :

« En réponse aux provocations de Trump, Pékin pourrait apporter son soutien, même son assistance militaire, aux ennemis des Etats-Unis. La politique de la Chine unique a maintenu la paix et la prospérité à Taïwan et, si elle était abandonnée, les relations entre les deux rives du détroit connaîtraient une vraie tempête. La Chine introduirait une série de nouvelles politiques vis-à-vis de Taïwan ; elle pourrait ne plus préférer la réunification pacifique à la reprise militaire si Trump insiste sur ses provocations. »

Ce média officiel prévient dans son éditorial : « La politique d’une Chine unique n’est pas à vendre. » Une logique à laquelle reste hermétique celui qui se présente comme le champion des « deals ».