Discriminations à l’embauche : une étude sévère pour les grandes entreprises françaises
Discriminations à l’embauche : une étude sévère pour les grandes entreprises françaises
Par Sarah Belouezzane
Un « testing » réalisé auprès de quarante sociétés révèle un taux de réponses positives de 36 % pour les noms à consonance maghrébine contre 47 % pour les autres.
Une agence Pôle emploi, le 10 septembre 2012 à Pontault-Combault. | JACQUES DEMARTHON / AFP
Pour trouver un emploi, il vaut mieux avoir un nom à consonance française. C’est en tout cas ce que révèle l’enquête commandée par le ministère du travail et réalisée conjointement par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) et l’association ISM Corum, spécialisée dans la prévention des discriminations.
Menée d’avril à juillet 2016, cette grande campagne de « testing », c’est-à-dire de tests par l’envoi de candidatures fictives, a révélé qu’un nom à consonance maghrébine pouvait s’avérer être un sérieux frein à l’embauche : ainsi, selon l’étude, le taux global de réponses positives reçues par une candidature « maghrébine » est de 36 % contre 47 % pour les candidatures « hexagonales ». Soit onze points d’écart.
« L’inégalité de traitement selon l’origine supposée du candidat se présente comme une tendance de fond puisqu’elle se retrouve pour les hommes comme pour les femmes et dans l’accès à des postes d’employés comme de managers », écrit le ministère du travail dans un communiqué.
« 147 paires de candidatures différentes »
Si ces discriminations à l’embauche sont connues et dénoncées par les associations et les observateurs, il n’est jamais aisé de les caractériser, et encore moins de les comptabiliser. D’où l’intérêt, selon le ministère du travail, d’une telle campagne.
Pour arriver à ce résultat, la Dares et ISM Corum ont envoyé 3 000 candidatures à quarante entreprises employant plus de 1 000 salariés chacune. « Ce ne sont pas du tout les entreprises du CAC 40. Elles ont été choisies en fonction du nombre d’offres d’emplois qu’elles publiaient car il fallait leur en envoyer plusieurs pour avoir un résultat significatif », explique-t-on au ministère du travail.
A chacune d’entre elles, et à différentes reprises, deux CV étaient envoyés à quelques heures de décalage pour ne pas éveiller les soupçons. Quasiment identiques (degré d’expérience, diplômes, lieux de résidence socialement neutres), ces deux candidatures différaient donc uniquement par le nom de la personne qui y figurait.
Pour éviter tout biais, des profils féminins, masculins, cadres ou employé, avec ou sans expérience ont été créés. Ainsi, explique la Dares, « 147 paires de candidatures différentes » ont été envoyées aux entreprises testées.
« Une absurdité économique »
Et les résultats sont édifiants. Car si les chances d’obtenir une réponse sont en moyenne de 11 points inférieures pour un candidat dont le nom a une consonance maghrébine, elles sont encore plus basses lorsqu’on se concentre sur les douze entreprises les moins vertueuses : dans ces sociétés le taux de réponse positive reçu par les candidats « maghrébins » était de 15 à 35 points inférieur à celui de leurs homologues porteurs d’un nom considéré comme bien français.
« Les discriminations à l’embauche sont prohibées par la loi. Elles constituent une faute morale inacceptable et une absurdité économique. Elles mettent à mal les promesses républicaines d’égalité dont la société française a plus que jamais besoin. A l’égard de nos concitoyens qui en seraient les premières victimes, nous nous trouvons dans l’obligation d’agir et de réussir », a réagi Myriam El Khomri, ministre du travail et du dialogue social.
Agir, mais comment ? Le ministère se refuse pour l’instant à dénoncer sur la place publique les entreprises les moins vertueuses. Les poursuites pénales sont, quant à elle, inenvisageables. La raison : cette campagne de « testing » repose entièrement sur des profils fictifs, il n’y a donc aucun préjudice réel pour qui que ce soit. « On parle bien de risque de discriminations, explique-t-on rue de Grenelle, et non pas de discrimination avérée. On ne peut donc pas les poursuivre. »
La voie de la conciliation
Dans ce contexte, le ministère a choisi la voie de la conciliation. « Toutes les entreprises testées ont été reçues. Les bonnes élèves comme les mauvaises, justifie-t-on au ministère du travail, de ces dernières on attend un plan d’action clair permettant de pallier leurs défaillances. »
Ce programme doit ensuite être présenté d’ici à janvier au ministère du travail. Ses résultats seront ensuite étudiés par un jury qui sera constitué pour l’occasion. Les contrevenants ou ceux dont les résultats ne seraient pas à la hauteur s’exposent au risque, cette fois, d’être dénoncés et exposés sur la place publique par le ministère du travail. Maigre consolation pour les personnes d’origine étrangères qui auraient souhaité, sans succès, y travailler.