Les funérailles du journaliste Mohamed Tamalt à Alger, le 12 décembre 2016. | RYAD KRAMDI / AFP

Plusieurs centaines de personnes ont assisté, lundi 12 décembre à Alger, à l’enterrement de Mohamed Tamalt, mort la veille alors qu’il purgeait une peine de deux ans de prison pour « offense au président de la République ». Agé de 42 ans, le journaliste algéro-britannique avait été condamné en juillet en raison de contenus publiés sur sa page Facebook dans laquelle il s’attaquait, parfois de façon très véhémente, à des responsables politiques.

Hospitalisé fin août après trois mois de grève de la faim, il est décédé dimanche à l’hôpital, des suites d’une « infection pulmonaire », selon l’administration pénitentiaire. Ce décès d’un journaliste en prison – une première dans le pays – a provoqué une vive émotion en Algérie. Hassina Oussedik, directrice d’Amnesty International Algérie, décrypte la situation des droits de l’homme dans le pays.

Mohamed Tamalt est mort en prison pour des écrits. Comment expliquez-vous qu’une telle chose ait pu se produire ?

Il est incompréhensible qu’on en arrive à un drame pareil. Nous demandons à ce qu’une enquête indépendante, approfondie et transparente, soit menée sur les causes de son décès, en accord avec la famille. Mohamed Tamalt s’était mis en grève de la faim fin juin pour protester contre son incarcération. Le 9 août [lors de son procès en appel], il avait déclaré devant le procureur général avoir subi des violences et des insultes de la part des gardiens de prison. Ses avocats avaient déposé une procédure. Le ministère de la justice avait été saisi, et une enquête devait être ouverte sur ces accusations de violences. Les informations ont-elles été transmises à l’administration pénitentiaire ? La dernière fois que nous avions eu des nouvelles, c’était il y a un mois, lorsque son frère a annoncé que son état de santé avait empiré. Les avocats de Mohamed Tamalt avaient demandé à ce que des mesures soient prises en raison de son état de santé qui ne cessait de se dégrader.

Vous confirmez qu’il s’agit du premier cas de journaliste mort en prison ?

C’est le premier cas dont Amnesty International a connaissance. Ses avocats avaient communiqué sur son état de santé, et des députés auraient demandé au ministre de la justice les raisons de son transfert de la prison à l’hôpital. Les associations travaillent dans des conditions difficiles, qui limitent leurs capacités de suivi des violations des droits humains.

Quel bilan faites-vous de la liberté de la presse en Algérie ?

La révision de la Constitution en février a permis de renforcer la liberté des médias. Le délit de presse ne peut plus être sanctionné par une peine privative de liberté. Les libertés d’expression, de manifestation et de réunion sont également garanties par la Constitution, mais elles le sont « dans le cadre de la loi et du respect des constantes et des valeurs religieuses, morales, et culturelles de la Nation ». Or, plusieurs articles du code pénal, relatifs à la diffamation ou l’outrage à des personnalités publiques et aux institutions de l’Etat, permettent aux autorités de sanctionner pénalement des propos, des caricatures ou des informations jugés diffamatoires. Cet arsenal juridique permet de réduire au silence des journalistes, des militants, des blogueurs. Ces dernières années, un certain nombre d’entre eux ont ainsi été arrêtés, inculpés puis relâchés. Amnesty International demande à ce que les actions en justice visant à protéger la réputation de personnalités politiques ou d’institutions publiques relèvent d’une procédure civile et non privative de liberté. Si ça avait été le cas, on aurait évité une telle tragédie.

Les écrits de M. Tamalt étaient parfois très virulents.

Nous n’avons pas à réagir sur le contenu. Si certains estiment que des propos sont diffamatoires, ils peuvent entamer une action en justice, c’est leur droit. Mais ce type d’infractions ne doit pas entraîner de sanctions pénales.

Il existe pourtant en Algérie quantité de journaux, sur papier ou en ligne, qui sont parfois très critiques vis-à-vis du pouvoir. Pourquoi certains sont-ils sanctionnés, d’autres non ? Quelles sont les lignes rouges ?

Il semble qu’il n’y ait pas de lignes rouges précises, ou, du moins, on n’arrive pas à les cerner, ce qui complique sensiblement le travail des militants des droits humains. On peut en effet noter une liberté de ton et d’expression pour les médias. Mais le maintien de lois liberticides ou d’articles ambigus permet aux autorités de sanctionner et de fragiliser la société civile lorsqu’elles le veulent. Il est difficile de comprendre la logique ou la cohérence des autorités. Prenez l’exemple des manifestations à Alger, interdites depuis un décret de 2011. Certaines sont tolérées et se déroulent sans aucun problème. D’autres sont violemment réprimées, des personnes sont arrêtées, emmenées au poste de police, puis libérées au bout de quelques heures. La seule véritable question à se poser concerne la construction d’un Etat de droit, garant des droits fondamentaux des citoyennes et citoyens.

Au-delà de la presse, qu’en est-il de la situation des droits de l’homme en général ?

Ce que je viens de décrire au sujet de la presse s’applique aux autres libertés fondamentales. La situation est confuse. La réforme de la Constitution a permis certaines avancées sur le papier, mais les implications concrètes demeurent floues en raison de dispositions qui conditionnent ces droits à des lois nationales qui, bien souvent, posent problème. Un exemple : la nouvelle loi sur les associations promulguée en 2012, qui était censée mieux organiser le champ associatif. Amnesty International Algérie a déposé, comme prévu, ses documents de mise en conformité [avec le nouveau texte], mais n’a pas pu obtenir le récépissé d’enregistrement, et le ministère de l’intérieur, qui aurait dû répondre dans les quatre-vingt-dix jours, ne l’a toujours pas fait. Un grand nombre d’associations sont dans la même situation, ce qui les maintient dans une situation de vulnérabilité vis-à-vis du pouvoir. Ainsi, l’Etat algérien engage des réformes pour consolider les droits humains mais au final, on constate un net recul des libertés fondamentales.

Dans ce contexte, que peuvent faire les associations de défense des droits de l’homme ?

Ces associations et, de manière plus générale, la société civile, continuent à travailler sur le terrain, à faire pression pour un changement du cadre juridique et s’engagent fortement auprès des jeunes. De plus en plus, ces dernières années, elles travaillent en réseau. L’avancée la plus notable réside dans l’émergence d’une société civile, notamment d’associations de jeunes, très riche, variée, créative, qui agit sur l’ensemble du territoire avec souvent peu de moyens, mais que l’Etat algérien refuse de reconnaître comme partenaires.