Du « Rainbow-Warrior » aux macaques du Japon, les deux vies d’un ex-espion
Du « Rainbow-Warrior » aux macaques du Japon, les deux vies d’un ex-espion
Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)
La sélection pour un concours, par le Musée d’histoire naturelle de Londres, d’une image prise par l’ex-agent secret Alain Mafart, reconverti en photographe animalier, fait polémique.
James Bond avait prévenu : on ne vit que deux fois. Alain Mafart, ancien agent secret français condamné pour sa participation au sabotage du Rainbow-Warrior en 1985, a refait sa vie. Personne n’y prêterait attention si sa nouvelle existence ne venait soudain de percuter douloureusement la première.
Alain Mafart, 65 ans, s’est reconverti en photographe animalier. D’un reportage au parc aux singes de Jigokudani, au Japon, il a rapporté une photo attendrissante, du genre de celles que l’on s’attend à voir sur un calendrier mural d’une association d’amis des animaux. On y voit la tête d’un bébé macaque endormi, caressée par la main de sa mère dans un geste protecteur. L’image fait partie de la sélection du Musée d’histoire naturelle de Londres pour son concours annuel de photographie de nature.
Or, dans sa première vie, Alain Mafart a participé au meurtre d’un photographe militant pour la défense de l’environnement et contre le nucléaire. En novembre 1985, quatre mois après avoir contribué à la destruction du chalutier de Greenpeace dans le port d’Auckland (Nouvelle-Zélande) pour l’empêcher de protester contre les essais nucléaires français dans le Pacifique, Alain Mafart, agent de la DGSE, a été condamné à dix ans de prison pour « homicide involontaire » par la justice néo-zélandaise.
Greenpace rugit
Les deux mines magnétiques qu’il avait aidé à convoyer sur le site du sabotage, sur ordre de Paris, avaient non seulement envoyé le navire de Greenpeace par le fond, mais accidentellement tué Fernando Pereira, un photographe de l’organisation qui avait voulu récupérer ses appareils après la première explosion. A la suite d’intenses pressions diplomatiques, l’espion en mission sous le faux nom de « Turenge » avait été transféré sur une île de Polynésie française, avant d’être rapatrié à Paris fin 1987.
L’éventualité d’une nomination d’Alain Mafart comme « photographe animalier de l’année » par le Musée d’histoire naturelle de Londres fait rugir Greenpeace. « Les qualités techniques et artistiques de la photo d’Alain Mafart ne font aucun doute, assure John Sauven, directeur de l’organisation au Royaume-Uni. Mais nous voulons que les gens sachent qui est cet homme et de quoi il a été responsable. Il a tué un photographe de l’environnement au cours d’un acte de terrorisme d’Etat. Il convient que le Muséum d’histoire naturelle retire cette candidature. »
Le musée de Kensington, qui organise ce concours depuis cinquante ans, n’a nullement l’intention de s’exécuter : « Les photos ont été sélectionnées uniquement pour leur qualité artistique et technique, sans référence à l’identité des photographes », allègue l’institution. Le bébé macaque de l’ex-espion « ne sera pas retiré » de la compétition créée en 1965. Le public peut d’ailleurs voter en ligne jusqu’au 10 janvier 2017 pour départager les 52 photographies sélectionnées.
En 2014, une photo d’Alain Mafart représentant des zèbres et des girafes en Namibie avait déjà été remarquée, au point d’être publiée dans le calendrier annuel de… Greenpeace International. L’organisation s’était aperçue trop tard de l’identité du talentueux opérateur, et avait pilonné 14 000 exemplaires de son calendrier.