Entre inflation et pénuries, les Egyptiens s’impatientent
Entre inflation et pénuries, les Egyptiens s’impatientent
Par Aziz El Massassi (contributeur Le Monde Afrique, Le Caire)
Depuis la dévaluation de la monnaie nationale et la baisse de certaines subventions, le pouvoir d’achat de la population ne cesse de diminuer.
Dans son minuscule atelier, les nouveaux arrivages et les commandes n’occupent plus Mahmoud*, menuisier passionné. Niché au rez-de-chaussée d’un immeuble du centre-ville du Caire, son petit magasin avait l’habitude de voir passer des belles armoires en bois faites de sa main ou des vieilles commodes dénichées ici et là et revendues à ses clients les moins argentés. « Plus personne n’achète de meubles, c’est fini, explique Mahmoud. Avec la crise, les gens réduisent leurs achats à l’essentiel. »
Depuis la dévaluation de la livre égyptienne, le 3 novembre, et la baisse drastique de certaines subventions d’Etat, les Egyptiens affrontent au quotidien les affres d’un marasme économique et social qui imprègne de plus en plus leur quotidien. Un quotidien qui s’obscurcit au gré d’une inflation parfois faramineuse des denrées alimentaires de base, comme l’huile ou le riz, et de la pénurie de médicaments les plus essentiels.
« Cette armoire inachevée à l’entrée du magasin m’a été commandée il y a des semaines. Le client n’est pas venu la récupérer. C’est la première fois que ça m’arrive. Les gens n’ont plus d’argent pour ce genre d’achat, précise Mahmoud. Une autre cliente m’a appelé il y a quelques jours pour me présenter ses excuses après avoir annulé une commande. Elle m’a expliqué que son foyer dépensait auparavant 1 000 livres [environ 50 euros] par mois pour se nourrir, mais que la famille devait débourser le double désormais, ce qui la contraignait à se contenter du minimum, c’est-à-dire manger. »
Pénurie de médicaments
Si les clients de Mahmoud n’achètent plus de meubles pour pouvoir se nourrir comme avant, lui est conduit à réduire son budget alimentaire. Chaque midi, il déjeune dans un petit restaurant qui sert du koshary, un plat populaire égyptien composé de nouilles, de lentilles, de pois chiches et de sauce tomate. « Je prenais le plat de taille moyenne qui coûtait 7 livres, mais qui est passé récemment à 10 livres. Je dois désormais me contenter de la taille en dessous et, si ça continue, je ne mangerai plus du tout durant la journée. »
Lorsque, après 21 heures, il rentre chez lui à Faysal, un quartier populaire éloigné du centre-ville du Caire, Mahmoud pense d’abord au loyer de 700 livres (environ 35 euros) qu’il doit régler avant de faire des courses. « Je suis comme la cliente qui m’a appelé cette semaine, raconte-t-il. Je dois dépenser quasiment deux fois plus d’argent si je veux acheter la même quantité de légumes ou de lait pour les enfants. La viande, qu’on ne consomme déjà pas excessivement, a presque complètement disparu de notre réfrigérateur. Pour l’instant, on fait avec, mais si ça s’empire, seul Dieu pourra nous venir en aide ! »
Avec une pénurie de médicaments d’une ampleur inédite, certains patients s’en remettent également à Dieu. A quelques mètres de l’atelier de Mahmoud, Fady* tient une pharmacie dans l’une des rues principales du centre-ville du Caire. Depuis plusieurs mois, l’Egypte est confrontée à une raréfaction, voire une pénurie, de certains médicaments à cause de la crise du dollar qui limite les importations. « Les prix des médicaments égyptiens ont augmenté de 20 %, mais la situation la plus alarmante concerne les médicaments importés qui deviennent de plus en plus difficiles à trouver », explique Fady.
Précieuse insuline
Tenant cette pharmacie de son père qui en a été le premier propriétaire, Fady avoue qu’il n’avait jamais été confronté à pareille situation. « Des médicaments vitaux comme l’Endoxan, prescrit dans le cadre des chimiothérapies, viennent à manquer », précise le pharmacien, avant de répondre à un appel important. Après avoir raccroché, Fady raconte qu’il reçoit toute la journée ce type d’appels de médecins qui l’interrogent sur son stock de médicaments par crainte de prescrire aux patients des produits introuvables.
« Dans la plupart des cas, nous arrivons à trouver une solution, mais certains médicaments essentiels ont complètement cessé d’être importés, ajoute Fady. C’est le cas des immunoglobulines anti-Rho destinées aux femmes enceintes pour empêcher le développement de l’anémie lors d’une grossesse ultérieure. Comment fait-on ? Evidemment, les femmes concernées par ce risque accouchent tout de même en espérant que le prochain fœtus ne sera pas affecté par ce problème. »
Quant aux diabétiques, qui concernent au moins 9 millions d’Egyptiens, l’achat d’insuline devient également une entreprise particulièrement laborieuse. « Les arrivages ne sont pas réguliers comme c’était le cas auparavant. Du coup, quand les patients en trouvent, ils épuisent immédiatement tout le stock. Les gens ont peur de manquer, ce qui pourrait arriver très prochainement », précise Fady.
C’est le cas de Mohamed* qui sort satisfait d’une pharmacie publique avec un petit sachet bien garni. « J’ai enfin trouvé de l’insuline que je cherchais depuis longtemps, se réjouit ce septuagénaire à l’air un peu déboussolé. C’est celle qui est produite en Egypte et qui coûte moins chère que celle qui est importée : 17 livres le petit paquet. J’en ai pris cinq boîtes. Qui sait si demain il y en aura encore ? »
* Les prénoms ont été modifiés.