Le Parlement suisse renonce à imposer des quotas migratoires
Le Parlement suisse renonce à imposer des quotas migratoires
Par Marie Maurisse (Genève, correspondance)
Le pays met fin au contentieux avec l’Union européenne créé par le référendum de février 2014 sur « l’immigration de masse ».
Le Parlement suisse a voté, vendredi 16 décembre, un projet de loi d’application du référendum sur « l’immigration de masse ». | PETER KLAUNZER/AFP
Le 9 février 2014, le peuple suisse répondait oui à un référendum « contre l’immigration de masse », qui proposait de rétablir des quotas migratoires. Près de trois ans après ce vote radical, le Parlement suisse est en pleine reculade. Vendredi 16 décembre, à Berne, les députés ont mis la touche finale à un projet de loi d’application du référendum. Celui-ci n’impose aucune limite à l’immigration, contrairement à l’esprit initial de la votation.
Ce texte de loi, voté par les deux chambres du Parlement fédéral, incite surtout les entreprises à privilégier la main-d’œuvre locale. Celles-ci devront d’abord passer par le service public de l’emploi avant d’aller recruter à l’étranger. Mais cette procédure ne s’applique que « lorsque certains groupes de profession, domaines d’activités ou régions économiques enregistrent un taux de chômage supérieur à la moyenne ». Elle est également « limitée dans le temps ».
Si les employeurs concernés ne respectent pas cette marche à suivre, ils risquent une amende pouvant se monter jusqu’à 40 000 francs (37 000 euros). Mais les patrons seront libres de refuser le candidat envoyé par le service helvétique de l’emploi, sans donner aucune justification. Si les chômeurs vivant en Suisse ne correspondent pas au profil recherché, les employeurs seront alors libres de poster leurs petites annonces en France ou en Allemagne, par exemple.
Au Parlement, cette version du texte a été largement acceptée par les députés. Seuls ceux de l’Union démocratique du centre (UDC), le parti populiste à l’origine du référendum du 9 février, s’y sont opposés. Les plus mécontents ont brandi des pancartes clamant : « L’immigration de masse continue. » Le chef de groupe UDC au Parlement, Adrian Amstutz, a dénoncé « une violation crasse de la Constitution suisse » et une « capitulation devant l’Union européenne ». Si le Parlement a refusé d’instaurer des quotas migratoires, c’est en effet qu’il craignait des rétorsions de Bruxelles, dans la mesure où ces quotas sont contraires à l’accord sur la libre-circulation avec l’UE.
La Commission européenne paraît rassurée par la décision du Parlement helvétique. Après trois ans de tensions entre Berne et Bruxelles, les relations sont donc en voie d’apaisement. Vendredi, quelques heures après le vote du Parlement, le gouvernement suisse a ratifié le protocole concernant l’extension de la libre-circulation des personnes à la Croatie. C’était la condition sine qua non pour que le pays retrouve sa place au sein du programme européen de recherche Horizon 2020, gelé en 2014.
Pour le député Ignazio Cassis, chef du groupe parlementaire libéral-radical, la solution trouvée relève du « pragmatisme ». Son confrère, Roger Nordmann, président du groupe socialiste, se félicite que le Parlement ait trouvé un moyen d’appliquer le référendum sans renoncer aux accords bilatéraux.
Quant à l’UDC, le premier parti suisse, il n’envisage pas pour l’instant de lancer une initiative populaire contre le texte du Parlement. « L’UDC soulève l’indignation sur l’immigration pour gagner des voix, mais prospère en faisant des affaires avec les pays européens, commente Roger Nordmann. Pour elle, gagner la votation du 9 février a été un problème, tout comme les partisans du Brexit en Angleterre… »
Formalité
Trois ans après le vote fracassant du 9 février 2014, la Suisse retourne donc au statu quo. Reste au Conseil fédéral, le gouvernement helvétique, à émettre une ordonnance d’application d’ici au 9 février 2017. Ce devrait être une formalité. Si aucune initiative populaire n’est déposée d’ici mars pour s’opposer à la nouvelle loi, alors la Suisse en aura fini avec son casse-tête de « l’immigration de masse ».
« Cette histoire a fait prendre conscience à la Suisse que l’UE n’est pas flexible, analyse Pascal Sciarini, politologue à l’université de Genève. Certes, au final, la volonté populaire n’est pas respectée, mais tout le monde savait que ce serait impossible. » « Ce n’est cependant que provisoire, ajoute-t-il, car l’article 121-A de la Constitution, qui affirme que la Suisse gère de manière autonome l’immigration, est toujours valable. » C’est pourquoi le collectif Sortons de l’impasse a lancé un référendum pour supprimer cet article.
Il devrait être soumis aux votes en 2017. L’Action pour une Suisse indépendante et neutre, un mouvement politique d’extrême droite, envisage aussi de lancer un référendum. Mais dans le but inverse : que la Suisse renonce aux accords bilatéraux avec l’Union européenne. Si son projet arrivait jusque dans les urnes, le peuple voterait, cette fois, sur un projet clair et tranché : le « Suissexit » ou la rupture des liens entre la Suisse et l’UE. Pour le politologue Pascal Sciarini, le résultat ne serait peut-être pas anti-européen. Les études qu’il a menées montrent que depuis le 9 février 2014, un tiers des Suisses qui avaient voté contre « l’immigration de masse » se prononceraient en faveur des accords bilatéraux s’ils devaient revoter.