Arnaldo Otegi : « On empêche l’ETA de se désarmer »
Arnaldo Otegi : « On empêche l’ETA de se désarmer »
Propos recueillis par Sandrine Morel (Madrid, correspondance)
Ex-membre de l’organisation séparatiste basque ETA et ex-dirigeant de Batasuna, le dirigeant de la coalition indépendantiste Bildu considère que les arrestations du week-end ont pour réel objectif de « boycotter la paix ».
Arnaldo Otegi, chef de la coalition indépendantiste Bildu, à Elgoibar (Pays basque), le 1er mars 2016. | Alvaro Barrientos / AP
Sorti de prison en mars après six ans passés derrière les barreaux pour appartenance à un groupe terroriste, Arnaldo Otegi, ancien membre de l’organisation séparatiste basque ETA et ex-dirigeant de Batasuna – la vitrine politique du groupe – a pris la tête de la coalition de la gauche indépendantiste abertzale (patriote) Bildu avec un objectif : suivre la voie catalane pour obtenir, d’ici à 2026, l’indépendance du Pays basque. Dans la non-violence. Il réagit aux détentions du vendredi 16 décembre à Louhossoa, dans les Pyrénées-Atlantiques, et revient sur la nouvelle stratégie suivie par la mouvance proche d’ETA.
Comment analysez-vous les arrestations de cinq personnes à Louhossoa ?
Cela s’inscrit dans les grandes opérations des derniers mois visant à empêcher qu’ETA se désarme. Ceci est aberrant. En Europe, il existe un problème de sécurité avec le terrorisme djihadiste, et on empêche une organisation armée de se désarmer.
Il existe plus de 300 crimes d’ETA non élucidés. La destruction des armes pourrait effacer des preuves…
C’est une excuse. Ceci n’a pas été une opération contre ETA. C’est une volonté de neutraliser les initiatives de la société civile et de boycotter la paix.
Pourquoi pensez-vous qu’il existe une volonté d’empêcher le désarmement ?
L’objectif de Madrid est de donner l’impression qu’il existe des vainqueurs et des vaincus, par des opérations militaires, et que, par conséquent, il n’y a rien à réclamer.
N’est-ce pas le cas ? Après de nombreux processus de négociations brisés dans le sang, n’est-ce pas la pression policière et judiciaire qui en a fini avec le terrorisme ?
Non. Si aujourd’hui il n’y a pas de violence armée de la part d’ETA, c’est fondamentalement parce que la gauche indépendantiste abertzale a pris la décision politique de changer de stratégie et de miser, en 2011, sur des voies exclusivement politiques et démocratiques.
L’ETA était déjà très affaiblie. Pourquoi avoir pris cette décision si tardivement si ce n’est parce qu’il n’y avait pas d’autres choix ?
Faire changer de stratégie à un secteur politique et social qui mène depuis des décennies une lutte de type politico-militaire prend de nombreuses années. Depuis la fin des 1990, nous avons défendu le dialogue pour en finir avec la violence. Malheureusement, nous avons conduit deux grands processus de négociations qui ont échoué.
Si vous pensiez qu’il fallait en finir avec la violence depuis si longtemps, pourquoi avoir maintenu un soutien sans faille à ETA et refusé de condamner les attentats, même quand des enfants en étaient les victimes ?
Il faut comprendre ce genre de processus. D’un côté, il y a les prises de position personnelles que nous avons été plusieurs à partager, de l’autre, un objectif : emmener tout le monde à la même conclusion que nous. Si nous n’étions pas restés de manière disciplinée dans la ligne que défendait la majorité de cette communauté, nous n’aurions pas pu y parvenir. Nous avons été des hétérodoxes disciplinés.
Entre-temps, l’ETA a fait encore beaucoup de morts…
Cela mérite une réflexion, évidemment, mais il fallait sans doute beaucoup de temps pour élaborer avec beaucoup d’autres membres ce changement de stratégie. Et nous n’avons pas convaincu la totalité de nos gens. Il existe encore un secteur dissident, non organisé, qui considère que, sans lutte armée et sans violence, nous n’arriverons pas à nos objectifs.
ETA pourrait renaître si vous ne parvenez pas à vos objectifs ?
Non. Ce danger n’existe pas.
Le Parti nationaliste basque (PNV, modéré), réélu à la tête de la région le 24 novembre, est décidé à soumettre à Madrid une révision légale du statut d’autonomie de la région, incluant la reconnaissance de la nation basque. Soutenez-vous cette position ?
Nous sommes d’accord pour chercher à élaborer ensemble une réforme du statut d’autonomie basque incluant le droit à l’autodétermination, le faire voter par le peuple basque et le porter ensuite au congrès des députés, à Madrid.
Avez-vous abandonné l’idée de suivre la « voie catalane », celle d’un référendum illégal et d’une « déconnexion unilatérale », comme vous l’avez défendu ces derniers mois ?
Non. Au Parlement basque, les trois principales formations (PNV, Bildu, Podemos), c’est-à-dire 57 des 75 députés, considèrent qu’Euskadi est une nation et qu’elle a « le droit de décider ». Mais nous sommes réalistes : nous n’avons pas encore une majorité sociale mobilisée comme en Catalogne. Dans un premier temps, nous allons donc offrir à l’Etat la possibilité de reconnaître la nation basque et le droit à l’autodétermination, comme l’avait fait aussi la Catalogne. Mais nous ne croyons pas qu’il acceptera… C’est quand cette tentative pour nouer une relation bilatérale a échoué que la Catalogne a opté pour la voie unilatérale. C’est aussi celle qui nous semble la plus efficace pour parvenir à l’indépendance.
Vous cherchez à vous appuyer sur la frustration du peuple basque, comme en Catalogne…
Nous sommes convaincus que c’est ce qui va se produire : un accord majoritaire de cette chambre va être rejeté par Madrid. Et cela va nourrir l’indépendantisme et provoquer, comme en Catalogne, un choc entre légalité et légitimité… Le Parti populaire [PP, droite, au pouvoir] n’a que neuf députés au Parlement basque, ce qui veut dire que nous vivons sous un régime démocratique dans lequel 9 députés sur 75 sont capables de nous nier le statut de nation et nous imposer leurs politiques économiques, sociales et internationales.
La « voie catalane » n’est-elle pas condamnée à l’échec ? Une région qui se déclare indépendante de manière unilatérale a peu de chance d’être reconnue par la communauté internationale…
Je pense que la communauté internationale finira par demander au gouvernement espagnol d’organiser un référendum en accord avec la Catalogne. Tout simplement parce que si Barcelone décide de ne pas payer sa part de la dette, l’Espagne fera faillite et l’Europe ne peut pas se le permettre… De plus, dans la même Europe où les Ecossais votent, il faudra nous expliquer pourquoi les autres peuples ne peuvent pas voter… Je suis convaincu qu’il y aura un référendum en Catalogne, et qu’il y en aura un au Pays basque, car l’Histoire va dans ce sens.
Quarante ans de terrorisme de l’ETA, soutenue par la gauche abertzale, ont-ils vacciné les Basques contre la lutte indépendantiste ?
Ce passé a été surmonté par la société, mais il existe une volonté de l’Etat de faire croire que ce n’est pas le cas pour justifier son immobilisme. La paix est incomplète, car il reste des sujets à traiter, à commencer par le désarmement et les prisonniers. Aujourd’hui, il existe une organisation qui est disposée à se désarmer et un Etat qui refuse de le faire. Chaque fois que l’ETA veut avancer dans ce sens, des opérations policières en France l’en empêchent. Il n’y a pas de processus de paix engagé.