Grâce de Jacqueline Sauvage : « La vérité n’est pas celle des comités de soutien »
Grâce de Jacqueline Sauvage : « La vérité n’est pas celle des comités de soutien »
Marie-Jane Ody, secrétaire générale de l’Union syndicale des magistrats, s’insurge contre la décision de François Hollande, par ailleurs unanimement saluée par les politiques.
Présentée comme un symbole des femmes victimes de violences conjugales, Jacqueline Sauvage, dont le cas avait suscité une intense mobilisation, est sortie de prison, mercredi 28 décembre, après avoir été graciée par François Hollande, malgré deux décisions de justice opposées à sa libération. A 69 ans, elle a purgé une partie de sa peine et reste condamnée, mais aucun recours ne pourra la faire retourner en prison pour les faits jugés.
Ce cas particulier soulève un débat plus large sur le droit de grâce dont se sont saisis plusieurs magistrats. Pour Marie-Jane Ody, secrétaire générale de l’Union syndicale des magistrats (USM), syndicat majoritaire, cette décision « gomme » tout le travail judiciaire.
Quelle lecture faites-vous de la décision prise par François Hollande de gracier totalement Jacqueline Sauvage ?
Cette décision interroge l’existence même du droit de grâce. En janvier, François Hollande prononce une grâce partielle qui permet à Jacqueline Sauvage de demander une libération conditionnelle. Le tribunal de l’application des peines et la cour d’appel ne l’accordent pas.
Comme l’autorité judiciaire n’a pas suivi la direction qui était indiquée, sinon imposée, par le pouvoir exécutif, ce dernier, en définitive, prononce la grâce totale. La lecture qu’on peut en avoir c’est que le pouvoir judiciaire doit se soumettre à l’exécutif, autrement il est désavoué.
Le droit de grâce, inscrit dans la Constitution, doit-il être remis en cause ?
Dans une démocratie moderne, on peut se demander si le droit de grâce doit demeurer. Une démocratie, c’est la séparation des pouvoirs, et le droit de grâce, c’est l’ingérence de l’exécutif dans le domaine juridictionnel. Toutes les décisions qui ont été prises en amont vont être gommées, seule la décision du président de la République va primer et être exécutée.
Il est temps que le pouvoir exécutif, c’est-à-dire le pouvoir politique, ne puisse plus s’ingérer dans le pouvoir judiciaire, que ce soit au niveau des poursuites, du prononcé de la peine ou de son exécution. Ce droit de grâce, même s’il est prévu par la Constitution, est une survivance du pouvoir royal et nous sommes favorables à sa suppression. On doit en arriver à une séparation beaucoup plus stricte et étanche des pouvoirs.
Pourquoi une partie des magistrats se mobilise-t-elle au lendemain de cette décision ?
Le droit de grâce interpelle depuis de nombreuses années. Mais c’est d’autant plus choquant ici que deux cours d’assise ont prononcé la même peine – et aucune circonstance nouvelle n’est invoquée. Donc on peut penser que c’était la peine qui était considérée comme la plus juste.
Une cour d’assise, c’est trois magistrats et six citoyens en première instance, trois magistrats et neuf citoyens en appel. Ces personnes-là ont été mobilisées pendant plusieurs journées. Elles ont écouté les débats, qui étaient publics.
La justice se rend dans les prétoires, après avoir entendu la cause de chacun. Le fait que Jacqueline Sauvage ait été une femme battue a été largement développé. Cela a été entendu par les jurés qui l’ont pris en compte dans le prononcé de la peine.
L’acte de juger est extrêmement difficile, tous ceux qui ont été jurés le savent. Cela suppose de concilier l’atteinte de la personne qui est poursuivie, de la victime, le parcours de chacun, ce qui aurait pu être fait pour que ce soit évité…
Toutes ces journées de procès sont mises à néant par un pouvoir exécutif qui va trancher, en ayant entendu uniquement un comité de soutien. La vérité n’est pas celle des comités de soutien, c’est celle qui est débattue dans les prétoires avant de rendre la justice.
Ce qu’ont plaidé les avocates de Jacqueline Sauvage devant le président de la République, elles l’ont plaidé par deux fois devant une cour d’assises. Je me demande ce que pensent aujourd’hui les jurés de ces procès-là.
Cela pourrait créer un précédent, les gens se diront que ce qu’on n’a pas obtenu devant une juridiction, on l’obtiendra du président de la République.
Les politiques saluent unanimement la décision de M. Hollande. Ne peut-on pas comprendre l’empathie suscitée par le cas particulier de Jacqueline Sauvage ?
La classe politique pense que manifester son soutien à Jacqueline Sauvage, c’est manifester son soutien aux femmes battues. Mais ce dossier est complexe. Il ne s’agit pas de méconnaître le combat des femmes battues qui est respectable, digne et qu’il faut aider.
Il y a d’autres moyens pour une femme battue en France que de tuer un mari violent. On peut obtenir des mesures d’aide, de soutien, il y a des ordonnances d’éloignement qui sont prévues pour éloigner un mari violent du domicile tout en laissant à la femme la jouissance du domicile commun. Tout un arsenal de mesures peut être pris.
Par ailleurs, les relations entre M. Hollande et les magistrats ne sont pas au beau fixe…
Le justiciable doit bénéficier d’une justice dans laquelle il peut avoir confiance. Il se trouve que François Hollande avait promis d’améliorer l’indépendance de la justice, notamment par une réforme du Conseil supérieur de la magistrature, l’organe compétent pour donner son avis en matière de nomination des magistrats, pour lui donner plus de pouvoir et une composition plus proche des normes européennes. Il ne l’a pas fait.
Par ailleurs, ses récentes déclarations, où il parlait d’une institution de « lâcheté », montrent qu’il ne manifeste pas beaucoup d’égards pour la magistrature de son pays.