Manifestation de soutien à Jacqueline Sauvage, le 10 décembre à Paris.En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/12/29/la-grace-de-jacqueline-sauvage-irrite-les-magistrats_5055185_3224.html#uSJJSbve3wRy90G7.99 | FRANCOIS GUILLOT / AFP

Editorial du « Monde ». François Hollande a accordé la grâce présidentielle, mercredi 28 décembre, à Jacqueline Sauvage, condamnée à dix ans de prison en 2015 pour le meurtre, par trois balles dans le dos, d’un mari qui la martyrisait depuis quarante-sept ans. Cette décision est d’abord politique.

Elle ne l’est pas seulement parce qu’elle a été saluée, avec une rare unanimité, par l’ensemble des responsables politiques français, de Jean-Luc Mélenchon, du Parti de gauche, à Florian Philippot, du Front national. La grâce de Jacqueline Sauvage, 69 ans, est une mesure populaire, qui satisfait l’opinion publique et de nombreuses associations : une pétition en faveur de cette grâce avait recueilli en quelques mois, après sa condamnation, près d’un demi-million de signatures. Politique, la décision du président l’est aussi parce qu’elle va à l’encontre du droit et de la chose jugée, en donnant la priorité à la cause des femmes victimes de violences conjugales.

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C’est la règle : une grâce présidentielle, établie par l’article 17 de la Constitution, n’a pas à être motivée. Le président Hollande n’a pas dérogé à la règle et, ce faisant, nous contraint inévitablement à interpréter son geste. A-t-il voulu dénoncer la décision des juges qui, par deux fois, ont refusé la libération conditionnelle de la meurtrière ? Ou bien a-t-il voulu prendre acte de l’importance du combat contre les violences faites aux femmes, dont la société française a enfin intégré la gravité ?

Controversée par nature

L’Union syndicale des magistrats, syndicat majoritaire dans la profession, s’est offusquée de cette remise en cause d’une décision de justice ; c’est, cependant, le principe d’une grâce présidentielle. En accordant une première fois, le 31 janvier, une grâce partielle à Mme Sauvage, M. Hollande, coutumier des demi-mesures, avait apparemment espéré que le tribunal d’application des peines s’appuierait sur sa décision pour libérer la condamnée. Mais le tribunal a rejeté la demande de libération conditionnelle en estimant, notamment, que la meurtrière n’avait pas reconnu la responsabilité de son geste : il lui fallait encore « remettre de l’interdit dans le passage à l’acte », selon la formulation assez curieuse de l’arrêt, ce qui nécessitait son maintien en détention avec une aide psychologique.

Les magistrats ont fait leur travail, mais le président a tenu compte de l’évolution de la société

Par cette nouvelle grâce, définitive, M. Hollande a, en réalité, remédié à la mauvaise stratégie de défense choisie par les avocates de Jacqueline Sauvage, qui avaient plaidé la légitime défense au lieu d’opter pour les circonstances atténuantes. La justice a suivi le droit et rejeté la légitime défense. Juridiquement, cette décision était tout à fait fondée. Indignée par le niveau de violence subi par la condamnée et ses filles de la part de la victime, la société, cependant, ne s’est pas reconnue dans le verdict.

Héritage de la monarchie, la grâce présidentielle est, par nature, controversée. Longtemps utilisée pour commuer des peines capitales, elle a également permis d’absoudre un certain nombre de personnalités politiques de délits divers. L’affaire Jacqueline Sauvage est d’une autre nature. Les magistrats ont fait leur travail, mais le président a tenu compte de l’évolution de la société. La grâce est donc, dans ce sens, une bonne décision. On pourrait espérer que la même clémence s’applique à bien d’autres personnes condamnées à des peines excessives, mais dont les cas n’ont pas bénéficié de la même exposition médiatique.