Pour ses adieux, Barack Obama invite les Américains à s’engager
Pour ses adieux, Barack Obama invite les Américains à s’engager
Par Gilles Paris (Washington, correspondant)
Plutôt que de défendre son bilan, le président sortant a évoqué l’état de la démocratie américaine, mardi, à Chicago. Et dressé le portrait d’un pays profondément divisé.
Discours d’adieu de Barack Obama à Chicago mardi 10 janvier. | Darren Hauck / AFP
Pour la dernière fois sans doute en tant que président des Etats-Unis, Barack Obama a serré des mains, embrassé et même pris un nourrisson dans ses bras, avec le degré d’intimité et de chaleur permis par le Secret Service. Pour la dernière fois, ses supporteurs avaient réclamé pour la forme auparavant « quatre années de plus » à la Maison Blanche, interdites par la Constitution, puis rugi aux formules les plus fortes quelques minutes plus tôt, avant de longtemps l’applaudir. M. Obama avait écorné la tradition en s’échappant de Washington pour prononcer mardi 10 janvier son dernier discours de président à Chicago, là où tout avait commencé pour lui.
Il fut l’occasion pour lui d’évoquer l’état de l’Union, même si son auditoire n’était pas le Congrès. La défaite de son camp lors des élections pour la présidence et les deux chambres, le 8 novembre, en a évidemment compliqué l’exercice. Souvent critiqué ces dernières semaines pour un sens de l’autosatisfaction en décalage avec le ressentiment des électeurs exprimé dans les urnes, M. Obama ne s’est pas longuement étendu sur un bilan qu’il juge certainement globalement positif, sur l’emploi, la protection sociale et même en politique étrangère avec l’accord avec l’Iran et la normalisation avec Cuba. « L’Amérique est meilleure et plus forte » qu’au début de ses deux mandats, a néanmoins assuré un président qui sait par ailleurs qu’une bonne part de son legs risque d’être remis en cause par la prochaine administration.
Une fois ce satisfecit énoncé, le président mais aussi l’ancien professeur de droit et celui qui fut également travailleur social ont alors abordé l’état de la démocratie américaine. Pour déclarer leur foi en sa solidité tout en rappelant ce qui peut la corroder, mais aussi ce qui peut au contraire la conforter, dans un balancement permanent entre une inquiétude présentée en effort de lucidité et l’espoir qu’il avait incarné et insufflé huit années plus tôt. A l’image de ce qui était tout de même un adieu, la note la plus sombre l’a emporté sur la plus lumineuse.
Que retenir de l’ère Obama ?
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« Traitement équitable promis par les Pères fondateurs »
Car M. Obama, en invitant son auditoire à dépasser l’idée reçue selon laquelle les problèmes de l’économie peuvent se résumer à la lutte entre « une classe moyenne blanche laborieuse » et « des minorités indignes » n’a pu que dresser le tableau d’un pays profondément divisé. Entre classes sociales tout d’abord, du fait d’inégalités qu’il considère comme la première menace contre la démocratie. Entre les communautés ensuite, malgré les progrès qu’il ne cesse de rappeler survenus au cours des dernières décennies.
Il a rappelé que lorsque les minorités ethniques manifestent, dans une allusion voilée au mouvement Black Lives Matter, c’est moins selon lui « pour demander un traitement spécial que le traitement équitable promis par les Pères fondateurs ». Il a demandé aux uns de songer que « l’homme blanc d’âge mûr qui, de l’extérieur, peut sembler jouir de tous les avantages, a vu son monde bouleversé par le changement économique, culturel et technologique », et aux autres que la ségrégation « n’a pas disparu soudain dans les années 1960 » avec les droits civiques.
Barack Obama lors de son discours d’adieu à Chicago (Illinois) le 10 janvier. | NICHOLAS KAMM / AFP
Le président a également mis en garde contre les « bulles » dans lesquelles trop d’Américains s’isolent à son gré pour fuir l’altérité ou le contradictoire, que cela soit « sur les campus universitaires ou dans le flux des réseaux sociaux », stigmatisant la capacité à n’accepter que « l’information, qu’elle soit vraie ou fausse, qui conforte notre opinion ». Il avait rappelé auparavant que les stéréotypes pour stigmatiser les immigrants étaient les mêmes utilisés par le passé à l’égard « des Irlandais, des Italiens et les Polonais ».
M. Obama a vu dans cet enfermement une hypothèque aussi sérieuse que les deux précédentes sur la démocratie. Parce qu’il produit un affrontement politique ne pouvant plus désormais reposer sur aucun constat de départ partagé par les deux camps. Faute de confiance dans « l’information », « la science » et « la raison », les discussions ne peuvent être que « des dialogues de sourds », a-t-il estimé, pointant l’enjeu du réchauffement climatique.
« Mettez vos chaussures et mobilisez-vous ! »
Sans nier par ailleurs les menaces venant de l’extérieur, et notamment celle représentée par le terrorisme perpétré « au nom de l’islam », le président démocrate qui a maintes fois évoqué la fondation du pays a clairement montré qu’il considère que les États-Unis sont principalement menacés par le renoncement par les Américains aux principes sur lesquels leur nation a été fondée. « Notre démocratie est menacée à chaque fois que nous la considérons comme acquise », a-t-il averti.
La présence de la foule face à lui a alors donné plus de force à ce que M. Obama a mis en avant pour empêcher un délitement. « Si vous êtes fatigué de discuter avec des inconnus sur Internet, essayez de parler avec quelqu’un dans la vie réelle. Si vous pensez que quelque chose ne va pas, mettez vos chaussures et mobilisez-vous. Si vous êtes déçus par vos élus, prenez un bloc-notes, collectez des signatures, et présentez-vous. » Au tout début de son discours, M. Obama avait confié que « c’est [à Chicago] que j’ai appris que le changement ne se produit que si des gens ordinaires s’impliquent, s’engagent et se rassemblent pour le demander. Après huit ans de présidence, j’y crois toujours ! »
Nul doute qu’à cet instant, M. Obama s’est exprimé plus particulièrement à l’intention de son camp, qui a souvent essuyé les défaites au cours des huits dernières années, en contrepoint de ses deux succès personnels de 2008 et de 2012. Un parti démocrate frappé par le revers de novembre et qui hésite sur la stratégie à suivre, comme l’illustre l’analyse du professeur de Columbia Mark Lilla déplorant le coûteux abandon des anciens cols-bleus blancs au profit de minorités restées marginales du point de vue électoral.
Bouclant deux mandats par un « Yes we did », écho nostalgique de la promesse de 2008, M. Obama a donc pris congé en invitant les siens à se mobiliser et à trouver par eux-mêmes des réponses. Il s’était montré très ému lors de l’hommage rendu à son principal mentor politique, sa femme Michelle. Son public devait l’être tout autant lorsqu’il a pris conscience qu’il venait de perdre le sien.
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