L’Afrique a-t-elle encore une importance stratégique pour la France au XXIe siècle ?
L’Afrique a-t-elle encore une importance stratégique pour la France au XXIe siècle ?
Quatre personnalités, dont Jack Lang et Jean-Louis Borloo, plaident pour raviver la flamme africaine d’une France qui, disent-ils, a perdu « la maîtrise de sa vocation universelle ».
« Sans l’Afrique, il n’y aura pas d’Histoire de France au XXIe siècle », écrivait en 1957 dans Présence française et abandon, François Mitterrand, alors ministre de la justice. Soixante ans après, le prochain président en aura-t-il conscience au moment de son entrée à l’Elysée en mai 2017 ?
Jusqu’à François Hollande, tous les présidents de la Ve République avaient fait de la présence française en Afrique l’une des priorités de leur politique étrangère. Récemment, un chef d’Etat africain de passage à Paris déclarait que « la France est en train de perdre l’Afrique ». En 1985, la France représentait 15 % des parts de marché sur le continent et la Chine, 5 %. Vingt ans après, les proportions sont les mêmes… mais inversées.
La nouvelle donne de la mondialisation
Pourtant, parmi les grandes nations, la France est, avec l’Angleterre, la plus proche – par l’Histoire, la langue et la géographie – de l’Afrique. Mais aujourd’hui, elle peine à définir une stratégie claire à l’égard du continent, à l’inverse d’autres puissances telles que la Chine, l’Inde, le Japon, voire l’Allemagne. Ces pays ont lancé des projets d’ampleur en Afrique, comme le Japon, qui prévoit d’investir 30 milliards de dollars (28,1 milliards d’euros) en trois ans.
Paris peine à s’adapter à la nouvelle donne de la mondialisation. Pour autant, ce déclin n’est pas irrémédiable. Une impulsion nouvelle peut être engagée à la faveur de l’élection présidentielle. Les relations franco-africaines devraient s’inscrire dans le prolongement de la stratégie d’émergence, définie par l’Union africaine dans son Agenda 2063, ainsi que les projets développés par la Banque africaine de développement.
Tous nos investissements doivent viser le renforcement de l’intégration régionale, telle que l’OHADA, qui réunit 17 pays d’Afrique de l’Ouest et centrale. La France devrait soutenir des investissements qui favorisent le décollage des échanges intra-africains (de 7 % à 12 % contre un taux supérieur à 65 % en Europe). Elle devrait également repenser son modèle économique, marqué par l’empreinte de grands groupes, alors que plus de 90 % des entreprises africaines sont des PME. La France pourrait proposer une offre singulière dans laquelle tous nos projets économiques s’accompagneraient d’un investissement dans l’éducation et la formation professionnelle : les besoins sont énormes alors que 60 % des Africains ont moins de 30 ans.
La francophonie, 20 % des échanges mondiaux
En 2050, l’Afrique devrait compter plus de 2,5 milliards d’habitants, dont plus de 800 millions de francophones, soit près des trois quarts des francophones dans le monde. Cette vitalité est aussi une source de dynamisme pour notre langue. Il est temps de dissocier la francophonie de la France et de faire émerger la notion de « bien commun francophone ». Albert Camus disait : « Ma patrie, c’est la langue française. » On pourrait ajouter : « Notre richesse, c’est la francophonie. »
Les pays francophones, selon le rapport Attali, représentent près de 20 % des échanges commerciaux mondiaux. Le potentiel économique de la francophonie pourrait déboucher sur près de 47 milliards de dollars de surplus d’exportations pour la France dès 2020 et sur plus de 360 000 emplois créés ou maintenus en France dans les cinq prochaines années.
La France devrait travailler avec ses partenaires à la création d’un Espace économique francophone (EEF), à l’instar de l’Espace économique européen. Cet EEF pourrait avoir quatre grandes priorités, la création de synergies en développant un cadre juridique et financier, le développement d’un marché de l’éducation et la mise en place d’un « Erasmus francophone », l’investissement dans le numérique et une « Francophone Tech » et la promotion d’un modèle d’aménagement du territoire, avec des pôles de compétitivité à vocation mondiale, autour de métropoles francophones interconnectées.
Retrouver la maîtrise de sa vocation universelle
Enfin, l’Afrique présente une importance capitale pour la France dans sa relation avec l’Europe. L’Europe est en panne de vision face à la crise des réfugiés. L’intégration de la verticale Afrique-Méditerranée-Europe sera un succès si l’Europe articule un plan Marshall pour le continent autour de quatre piliers fondamentaux : l’industrialisation, la transformation agricole, les infrastructures de transports et l’électrification de l’Afrique. L’électrification, est la priorité absolue, car cela conditionne l’accès à l’eau, à l’éducation, à la santé, à l’emploi et à la sécurité.
L’élection présidentielle de mai 2017 devrait permettre à la France de reprendre un rôle de précurseur en Afrique, dans l’espace francophone et en Europe pour retrouver la maîtrise de sa vocation universelle.
Jean-Louis Borloo est ancien ministre, président de Energies pour l’Afrique.
Jack Lang est ancien ministre, président de l’Institut du monde arabe.
Yves-Justice Djimi est avocat à la Cour, coprésident AfricaFrance Afrique du Sud
Pascal Lorot est président de l’Institut Choiseul Afrique.