Jeux vidéo : Kickstarter en voie d’essoufflement
Jeux vidéo : Kickstarter en voie d’essoufflement
Par Corentin Lamy
Cinq ans après avoir révolutionné l’industrie du jeu vidéo, la plate-forme de financement participatif ne semble plus soulever autant l’enthousiasme qu’auparavant.
La plate-forme de financement participatif Kickstarter, particulièrement appréciée des créateurs de jeux vidéo, serait-elle en perte de vitesse ? Depuis 2009, le site Kickstarter propose aux créateurs (de films, de livres, de jeux vidéo, etc.) de se faire financer par des internautes. Si la société n’a pas communiqué de chiffres ces deux dernières années, ceux des années précédentes montraient pourtant une progression constante de l’investissement des internautes : + 260 % en 2011, + 222 % en 2012, + 50 % en 2013 et + 10 % en 2014.
D’après les calcus de Pixels (rendus possibles grâce aux données compilées par l’utilisateur du forum de CanardPC. com, Julien « Catel » Dupire) en 2016, elle n’aura permis de récolter « que » 14,6 millions de dollars (13,71 millions d’euros) pour financer des projets de jeux – soit une baisse de quasi deux tiers depuis l’exercice 2015 et ses 40 millions de dollars.
Le poids des gros projets
Pour Kickstarter, site de financement collaboratif qui s’est rapidement imposé comme un eldorado pour les créateurs indépendants, c’est la fin d’un âge d’or débuté en 2012. En mars de cette année-là, le projet Broken Age, réalisé par la star des années 1990, Tim Schafer, (Monkey Island, Grim Fandango, etc.) obtient le soutien de plus de 80 000 internautes, pour un montant inattendu de 3,3 millions de dollars, contre 400 000 dollars demandés.
Il ouvre la voie aux « gros » projets soutenus par des vétérans de l’industrie, et récoltant souvent plusieurs millions de dollars. Depuis il y en a eu une trentaine, qui ont permis à la section jeu vidéo de Kickstarter d’afficher des résultats insolents : de 800 000 dollars récoltés pour la création de jeux vidéo en 2011, on passe à 37,2 millions en 2012. Les années 2013 et 2015 atteindront des niveaux similaires.
« Shenmue III » est l’arlésienne par excellence du jeu vidéo. Son retour a été rendu possible par Kickstarter. | Original game / Sega / Ys Net
Dans leur sillage, ces gros poissons soulèvent une vague qui bénéficie, dans un premier temps, à tout le monde : au plus fort du phénomène Broken Age, au deuxième trimestre 2012, même les « petits » projets, ceux qui décrochent moins de 1 million de dollars, peuvent compter, en moyenne, sur un revenu de 100 000 dollars chacun. Contre 16 000 dollars seulement quelques semaines plus tôt.
Mais cette bonne santé est fragile, totalement dépendante du bon vouloir des « stars » du jeu vidéo. En 2014, ils se font rares. Et puis, après une fugace reprise durant l’été 2015 (portée par le succès des campagnes de Bloodstained et Shenmue III), ils disparaissent de nouveau en 2016 : peut-être sont-ils allés voir du côté de la concurrence, et notamment de Fig, plate-forme uniquement spécialisée dans le jeu vidéo, et qui a pu collecter 8 millions de dollars en 2016 – pas si éloigné des 14,6 millions du vétéran Kickstarter.
Problème plus pressant, les « petits » développeurs, ceux qui décrochent moins de 1 million de dollars (soit plus de 98 % des jeux financés), voient depuis bientôt cinq ans leur revenu moyen décroître – et quasi sans discontinuer.
L’alpha et l’oméga du financement ?
Le Français Pins, illustrateur et développeur du jeu Tiny & Tall : Gleipnir, est l’un de ceux qui en ont fait les frais. « Au début, lancer une campagne Kickstarter constituait en soi une actualité. Aujourd’hui, il est banal, voire attendu, de le faire. Il y a besoin d’autre chose, à mon avis d’une notoriété de base, d’une communauté déjà prête à soutenir. C’est très injuste, bien sûr, puisqu’il est rare que les génies soient également de bons commerciaux, mais il faut comprendre aussi l’aspect dissuasif du barrage constant de sollicitations », analyse-t-il.
Sur KickStarter, de nombreux projets restent dans l’ombre et les montants récoltés sont en baisse. | Capture d'écran
Sa campagne a ainsi échoué en 2015, alors qu’elle avait atteint 85 % de son objectif. Pins n’est pas amer pour autant : « Au final, je suis très content que ça se soit passé ainsi. Le jeu a trouvé un éditeur ; ce qui me permet de le travailler beaucoup plus, de prendre mon temps et d’obtenir un résultat dont je suis vraiment fier. Il y a parfois du très bon aux anciennes méthodes. Kickstarter n’est pas l’alpha et l’oméga du financement d’un projet de jeu. »
Et de fait, de 100 000 dollars récoltés en moyenne au deuxième trimestre 2012, les « petits » projets à moins de 1 million de dollars tombent à 41 000 dollars en 2014. Et si l’éphémère retour des « gros » en 2015 leur offre un bref répit (le revenu moyen des « petits » remonte alors à 44 000 dollars), la dégringolade reprend en 2016 : les « petits » projets n’ont récolté que 32 000 dollars en moyenne, trois fois moins qu’à son pic. Au troisième trimestre, il flirtait même avec les 23 000 dollars. Les 16 000 dollars de l’ère pré-Broken Age ne semblent plus très loin…