Giannis Antetokounmpo, le Grec « freak » de la NBA
Giannis Antetokounmpo, le Grec « freak » de la NBA
Par Clément Guillou
Le joueur des Milwaukee Bucks sera titulaire lors du All Star Game. Quatre ans après avoir quitté les rues d’Athènes, où il vendait des lunettes de soleil.
Antetokounmpo est devenu le joueur le plus spectaculaire de la NBA. | BENNY SIEU / USA Today Sports
La NBA est emportée depuis l’automne par un phénomène dont elle peine à prononcer le nom. Alors elle l’appelle par son prénom, Giannis, ou son surnom : « The Greek Freak ». Le monstre grec.
Giannis Antetokounmpo, 22 ans, Milwaukee Bucks, sans poste fixe, est arrivé en deuxième position des lignes intérieures de la conférence est derrière LeBron James, au vote du All Star Game annoncé jeudi soir. Cela lui vaudra d’être titulaire lors du match des étoiles, le 19 février à La Nouvelle-Orléans, dans l’équipe de l’est. Et sa présence n’a rien à voir avec un vote chauvin de ses pays d’origine, comme Zaza Pachulia. Cette saison, Giannis Antetokounmpo est ce qui se fait de plus spectaculaire, dans la plus spectaculaire des compétitions.
Giannis Antetokounmpo TOP 10 PLAYS + DUNKS + BEST HIGHLIGHTS #NBAVOTE ALL STAR GAME 2017
Durée : 04:56
Dunk avec prise d’élan de la ligne des lancers francs, contre viril venu de l’arrière, coast to coast en deux dribbles : il est devenu indéboulonnable dans les « top 10 » de la NBA. Son panier de la victoire au Madison Square Garden face aux New York Knicks – adversaires peu cotés mais les plus médiatisés – a donné plus d’écho encore au phénomène. Ce soir-là, il marque 12 points dans les sept dernières minutes.
Giannis Antetokounmpo GAME-WINNER | Bucks vs Knicks | January 4, 2017 | 2016-17 NBA Season
Durée : 01:40
L’Amérique connaît déjà son histoire par cœur, car ses performances ont vite fait se pencher la presse sur son destin hors norme. 2013 : Antetokounmpo est apatride et vend des colifichets dans les rues d’Athènes avec son frère, avec qui il partage ses chaussures de basket. 2014 : Antetokounmpo fait des centaines de milliers de vues sur YouTube et incarne l’avenir des Milwaukee Bucks, franchise alors au bord du déménagement avec un stade vétuste, des supporteurs qui désertent et une équipe à pleurer.
« Tout pour devenir une mégastar »
Une star à Milwaukee, c’est comme un deuxième grand club de football à Paris : ça ne peut pas arriver. A moins que. A moins qu’elle ne vienne de la deuxième division grecque, soit passée en dessous des radars des recruteurs de NBA, et soit encore disponible au 15e choix de la draft (sélection annuelle des meilleurs jeunes). Normalement, tous les joueurs en mesure de changer la vie d’une franchise sont pris dans les cinq premiers choix – Stephen Curry, 7e de la draft 2009, c’était déjà l’affaire du siècle. Antetokounmpo pourrait bien être la deuxième.
« On cherchait un mec décisif, et maintenant il est là », dit Jason Terry, vétéran de la ligue et des Bucks. « Quand un joueur a son talent, son éthique de travail, son humilité, quand un joueur étudie le jeu comme il le fait, ce joueur a tout pour devenir une mégastar. C’est ce que l’on a devant nous. »
Giannis Antetokounmpo, ici face à Bojan Bogdanovic des Brooklyn Nets, le 3 décembre 2016. | BENNY SIEU / USA Today Sports
« Giannis » naît Adetokunbo, le 6 décembre 1994 en Grèce. Ses parents sont arrivés trois ans plus tôt de Lagos (Nigeria) et survivent avec les baby-sittings de Veronica et les petits boulots de Charles dans une compagnie d’électricité. Les quatre frères Adetokunbo ont des prédispositions au sport : le père a été footballeur professionnel, la mère sauteuse en hauteur – Giannis lui doit-il son tendon d’Achille démesurément long, qui lui offre son explosivité hors norme ? Bien que nés à Athènes – sauf l’aîné –, ils doivent attendre leur majorité pour tenter d’obtenir la nationalité grecque, après test de langue et de citoyenneté.
Aujourd’hui, c’est l’émeute lorsque Giannis Antetokounmpo – version latine de ce qui fut écrit sur son passeport grec – retourne à Athènes avec son frère Thanasis, professionnel en Espagne et brièvement passé par les New York Knicks. D’autant plus qu’il répond présent en équipe nationale.
« L’histoire est folle, non ? »
Giannis a pourtant attendu de traverser l’océan pour exploser. Le championnat grec et ses grands clubs d’Athènes, comme l’Olympiakos ou le Panathinaïkos, sont passés à côté de celui qui jouait à Filathlitikos, un petit club de banlieue évoluant en deuxième division. Giannis et Thanasis n’étaient pas toujours assidus aux entraînements. Parfois, il fallait sécher pour passer la journée dans les rues à vendre des produits de contrefaçon – lunettes de soleil, sacs à main, montres. Les bonnes journées rapportaient « juste assez » pour payer les factures, expliquent-ils. Pour manger, c’était parfois le club qui aidait. Spiros Velliniatis, l’entraîneur qui a mis un ballon dans les mains des deux enfants, jusqu’ici branchés football, disait au New York Times en 2013 :
« Si vous êtes avec Mozart et qu’il n’a rien à manger, qu’est-ce que vous lui donnez ? C’est un dilemme. Et la réponse n’est pas un violon. La réponse, c’est du pain. »
Dans la rue, se souvient Antetokounmpo dans un reportage de Sports Illustrated, « le résultat n’était jamais garanti. Alors que si je travaille ici, j’aurai des résultats. C’est un sentiment formidable ».
« Quand je repense à là où j’étais il y a quatre ans, dans la rue, et où je suis aujourd’hui, en mesure d’assurer l’avenir de mes enfants, de mes petits-enfants et de leurs propres petits-enfants… Je ne dis pas ça pour me la péter, mais l’histoire est folle, non ? »
A son arrivée dans la plus grande ville du Wisconsin, dans la région des Grands Lacs, ses coéquipiers ont tout de suite relevé qu’il avait hérité de ces jours difficiles une certaine pingrerie. Giannis divisait les notes, quittait la cantine avec les restes ou se demandait comment échapper à l’impôt. Il ne s’ouvrait qu’à son mentor et protecteur, l’assistant vidéo Ross Geiger : très jeune, le clandestin ni nigérian ni grec a appris à se méfier de tous.
Des mains de 30 centimètres
Trois ans après son arrivée, Antetokounmpo est un autre homme et un autre joueur. Il a continué de grandir jusqu’à récemment, passant de 2,05 à 2,11 mètres. Il a pris 12 kg de muscles sans rien perdre de sa vitesse de déplacement. Il est blasé des smoothies, des gratte-ciel et des plus belles sneakers. Il a fait venir sa famille, qui gère toute sa vie, surtout sa mère.
Sur le terrain, le « Greek Freak » a pris sa franchise en main, devenant le meilleur Buck dans toutes les catégories statistiques : points, rebonds, passes, contres et interceptions. Il s’est surtout installé dans la position de meneur – comme il le faisait en Grèce – alors que sa taille et son explosivité l’avaient naturellement destiné à occuper à son arrivée le poste d’ailier, voire d’intérieur.
Giannis Throws Down Double Clutch Dunk 01.13.17
Durée : 00:37
Son entraîneur, Jason Kidd, est l’un des plus grands meneurs de l’histoire de la NBA – même si le « Greek Freak » ne connaissait pas son palmarès et a avoué avoir tapé son nom sur Wikipédia la première fois qu’il a été envoyé sur le banc. Kidd, 1,93 mètre, se trouvait un tantinet trop petit sur le terrain pour diriger son équipe. Pour lui, la taille idéale était celle de Magic Johnson, la référence au poste, qui culminait à 2,06 mètres. « Les mecs comme Magic regardent d’en haut. Ils peuvent faire des passes dont je ne pouvais que rêver. »
Kidd l’installe en meneur
Après avoir testé Antetokounmpo au poste de meneur en présaison en 2014, puis en 2015, Kidd n’était toujours pas convaincu que son joueur avait l’intelligence de jeu nécessaire pour le faire en compétition. En fin de saison dernière, le meneur titulaire s’étant blessé et les Bucks étant hors de la course aux playoffs, Kidd a mis le destin de son équipe dans les mains géantes du Grec (30 centimètres ; amusez-vous à mesurer les vôtres).
Antetokounmpo n’a plus bougé depuis de ce poste, d’où il peut attaquer le cercle et libérer des positions de tirs à trois points pour ses coéquipiers. Il lui reste à mieux gérer le pick-and-roll, tactique de base, et à travailler son tir extérieur. Mais, cornaqué par Jason Kidd, il aurait pu tomber sur pire formateur.
A cela, deux conséquences : les Bucks, équipe en développement, ont devant eux un futur radieux ; et les Américains devraient bientôt être en mesure d’épeler Antetokounmpo.