En Italie, la Cour constitutionnelle encadre la réforme électorale
En Italie, la Cour constitutionnelle encadre la réforme électorale
Par Jérôme Gautheret (Rome, correspondant)
Les partis négocient la refonte du mode de scrutin conçu par Matteo Renzi et relancent l’hypothèse d’élections anticipées.
La Cour constitutionnelle italienne, à Rome. | FILIPPO MONTEFORTE / AFP
Les magistrats de la Cour constitutionnelle italienne ont su ménager leur effet. Avec plus de vingt-quatre heures de retard et au terme de deux jours de débats, ils ont rendu leur avis sur la loi électorale dite « Italicum » conçue par le gouvernement de l’ancien premier ministre, Matteo Renzi. Ils ont validé une bonne part du dispositif tout en assurant, détail capital pour la suite, que la loi « est susceptible d’être immédiatement utilisée ». Autrement dit : rien n’interdit des élections anticipées, réclamées par les partisans de Matteo Renzi, depuis sa démission au lendemain de l’échec du référendum du 4 décembre 2016, le Mouvement 5 Etoiles et la Ligue du Nord.
C’est peu de dire que cette décision était attendue, tant les incertitudes sur ce texte polluent depuis des mois le débat politique italien. En effet, depuis qu’en 2013, le système conçu par Roberto Calderoli (Ligue du Nord), surnommé par son auteur lui-même « porcellum » (« cochonnerie »), a été jugé inconstitutionnel, le pays ne disposait plus de loi électorale.
Pensé dans le prolongement de la réforme constitutionnelle – rejetée lors du référendum de décembre 2016 –, l’Italicum est un dispositif complexe divisant le pays en 100 circonscriptions et assurant, par le moyen d’une prime majoritaire conséquente, 55 % des sièges à la Chambre des députés au parti arrivé en tête s’il atteint plus de 40 % des voix, le restant étant réparti entre les autres partis ayant obtenu plus de 3 % des voix, sur une base proportionnelle.
Cette prime majoritaire, jugée excessive par de nombreux juristes, a finalement été validée par la Cour constitutionnelle, qui avait été saisie par les tribunaux de Turin, Gênes, Pérouse, Trieste et Messine. Elle doit garantir l’existence de majorités stables et durables à l’Assemblée, éloignant la perspective des crises parlementaires qui fragilisent régulièrement le fonctionnement de la démocratie italienne – 64 gouvernements depuis 1945 – tout en réduisant à l’impuissance la myriade de petits groupes qui tirent d’immenses bénéfices, aussi bien matériels que politiques, de la position d’arbitre dans laquelle les place l’habituelle fragilité des majorités.
La Cour constitutionnelle a en revanche rejeté le principe d’un second tour de scrutin, prévu dans le cas où aucun parti n’arriverait à atteindre 40 % des voix au premier. A vrai dire, dans les dernières semaines de la campagne référendaire, Matteo Renzi s’était déjà déclaré disposé à y renoncer.
Ainsi donc, l’Italicum, critiqué de toutes parts depuis des mois, et privé de son avocat le plus enthousiaste après l’éloignement forcé de Matteo Renzi, semble bien avoir survécu, dans les grandes lignes, à son passage devant les juges constitutionnels. Pourtant, même si la décision de la Cour précise bien que le texte, une fois amendé, a vocation à s’appliquer immédiatement, il est très improbable qu’il en soit ainsi.
Le système, conçu pour s’appliquer à un Parlement dans lequel disparaissait, sous sa forme actuelle, le Sénat, ne se préoccupe que de la Chambre des députés. Or la victoire du « non » au référendum du 4 décembre a rétabli la Chambre haute dans toutes ses prérogatives. Celle-ci conserve donc la faculté de faire tomber les gouvernements, et son mode de scrutin actuel, dans lequel domine la proportionnelle, empêche presque à coup sûr la Constitution de coalitions stables.
« Habemus legalicum ! »
Dès lors, à quoi bon permettre l’existence de majorités solides à la Chambre si rien ne change au Sénat ? Le président de la République, Sergio Mattarella, a souligné ce point dès le lendemain du référendum du 4 décembre, affirmant qu’il serait inutile de voter tant que la question du mode de scrutin au Sénat n’a pas été tranchée.
Bref, à l’heure actuelle, l’Italicum, même amendé, ne sert à rien. Et malgré les injonctions immédiates d’un Beppe Grillo (« Habemus legalicum ! (…) Il n’y a plus d’excuses, votons tout de suite ») ou du dirigeant de la Ligue du Nord, Matteo Salvini, qui préconise de rendre immédiatement « la parole aux Italiens », c’est inévitablement une nouvelle période de tractation entre partis qui s’annonce. Dans ce cadre, la décision des juges n’apparaît guère plus que comme une base de départ pour des discussions qui s’annoncent difficiles, et lourdes d’arrière-pensées.
Sans surprise, Matteo Renzi rêve d’en découdre au plus vite, et fera tout pour qu’un vote se tienne avant juin. L’ancien premier ministre voudrait précipiter les choses afin de prendre sa revanche, mais aussi pour réduire au silence son opposition interne, vent debout contre un système de vote jugé dangereux et antidémocratique. Il sera soutenu en cela par son meilleur ennemi, Beppe Grillo.
En tête dans les sondages, avec plus de 30 % des voix, le Mouvement 5 Etoiles rêve de transformer dans les urnes ses progrès des derniers mois, qui lui ont permis de devancer de 1 à 2 points le PD, et pourrait même se trouver en situation de gouverner. Lui qui naguère qualifiait l’Italicum de « menace pour la démocratie », allant jusqu’à prôner la proportionnelle intégrale, en était devenu ces dernières semaines un des avocats les plus résolus.
La droite modérée, en revanche, en manque d’un chef indiscutable et en froid avec la Ligue du Nord, prône de son côté la temporisation. Elle sera appuyée par les minoritaires du PD, à qui un peu de temps permettrait de s’organiser pour convoquer un congrès et y contester le leadership de Matteo Renzi, et sans doute par quelques jeunes élus de tout bord. En effet, les textes prévoient que les droits à la généreuse retraite des parlementaires ne sont acquis qu’au bout de quatre ans et demi d’exercice, soit en septembre. De quoi convaincre des vertus du dialogue et de la temporisation.