Michel-Édouard Leclerc : « Découvrir Chagall, c’était le confronter à notre temps »
Michel-Édouard Leclerc : « Découvrir Chagall, c’était le confronter à notre temps »
M le magazine du Monde
A une époque de profondes mutations, le rapport au temps est chamboulé. Nous avons invité des personnalités et des anonymes à se confier sur ce sujet. Cette semaine, le mécène et patron des centres E. Leclerc.
Michel-Edouard Leclerc dans son bureau à Ivry-sur-Seine, en décembre 2016. | Lola Reboud pour M Le magazine du Monde
Président directeur général de l’enseigne de grande distribution E. Leclerc, Michel-Édouard Leclerc a succédé à son père, Edouard, à la présidence de l’Association des Centres Distributeurs Leclerc en 2006. Très médiatique, Michel-Édouard Leclerc est aussi mécène et passionné d’art. Grâce à son fonds, il ambitionne de mettre l’art moderne et contemporain à la portée des Bretons, sa région d’origine.
« Le fonds a pour ambition de faire découvrir les artistes de notre temps », dit le manifeste du site Internet du Fonds Hélène et Édouard Leclerc pour la culture que vous présidez.
C’est une classification que je reconnais être un peu artificielle. Elle se justifie car il existe en Bretagne d’autres musées qui se sont spécialisés dans le meuble du XVIIIe siècle du bas-pays breton, d’autres dans l’histoire de la marine ou, comme le musée du Pont-Aven, dans la fin du XIXe ou à Quimper sur la première partie du XXe. Donc revendiquer des expositions d’art moderne et contemporain, c’est donner une clef de lecture sur les artistes qu’on y trouvera. Cela n’exclut aucun dialogue avec les œuvres de différentes époques.
Pourquoi vous êtes vous intéressé à cette période ? Pour simplement combler un manque ?
En effet, il n’y avait pas d’endroits consacrés à ces artistes. Vu de Paris, tout cela paraît relativement classique mais dans la réalité, Miró, Dubuffet, Giacometti, Chagall n’ont jamais bénéficié d’une rétrospective d’importance dans cette moitié ouest de la France. Donc, on peut chipoter, dire que Miró ou Chagall sont désormais des « modernes » car ils ne sont plus vivants, selon la sémantique habituellement utilisée, mais les Bretons qui sont venus à Landernau en masse pour les découvrir ont constaté leur grande contemporanéité.
Il y aurait une sorte de décalage temporel artistique entre Paris et la Bretagne ?
Grâce au système scolaire ou aux médias, tout le monde a une idée sur la peinture de Miró ou la manière de Giacometti mais découvrir Chagall en vrai à l’été 2016, c’était le confronter à notre temps, celui de la dispersion du camp de réfugiés de Calais, de l’opposition politique entre identité et mondialisation, entre communautarisme et expression individuelle. Tous ces sujets parcourent la vie politique et sociale.
Sans être un artiste à messages, Chagall porte en lui une identité revendiquée, juive, russe, artiste non-paria et en même temps profondément cosmopolite, européen. Les thèmes qu’il utilise dans ses représentations de la Bible sont d’abord laïcs. Ce sont des thèmes familiaux, sentimentaux… Au-delà des modes et des codes, ces artistes sont des phares.
Qu’est ce qui a éveillé cette passion pour l’art ?
Je n’ai jamais dissocié l’art de la vie. Dans les paysages de mon enfance, il y a l’église de Landerneau, il y a le plus vieux pont habité de France, une statuaire qui a hanté mes cauchemars. Ce sont aussi mes parents qui étaient curieux d’archéologie, d’histoire et d’art. Dans ma journée, je croisais les tracteurs pleins d’artichauts qui allaient à la gare, je descendais devant de vieilles maisons du XVIIIe siècle ou ces églises pleines de statues, et je lisais de la bande dessinée.
Michel-Edouard Leclerc : « Dans mon bureau, je vis avec des images, des tableaux, du street-art, des tranches de livres qui imbibent ma vie et me structurent. » | Lola Reboud pour M Le magazine du Monde
Comment réussissez-vous à soumettre votre agenda surchargé de chef d’entreprise à l’art ?
Je ne segmente pas justement. Si vous regardez autour de moi, dans mon bureau, je vis avec des images, des tableaux, du street-art, des tranches de livres qui imbibent ma vie et me structurent. Les affiches de publicité que j’ai faites pour les centres Leclerc côtoient les affiches des expositions que j’organise à Landerneau. C’est une grande liberté de voir tout dans tout. Dans les bureaux, des équipes sont là pour créer de nouveaux magasins et dans le même temps, je suis au téléphone avec les équipes de Landerneau qui m’envoient des photos sur Instagram ou sur Skype pour l’accrochage de l’exposition Hartung qui a se tient en ce moment. Dans le même temps, je suis en contact avec le directeur du musée Picasso d’Antibes pour préparer l’exposition de cet été.
Réussissez-vous à insuffler cette passion auprès de vos personnels ?
J’ai une expérience assez touchante. Comme j’aime beaucoup la photo qui fait partie de mon processus mémoriel, un de mes collaborateurs m’a conseillé d’ouvrir un compte Instagram sans me préoccuper de l’audience. Je me suis rendu compte que 120 à 130 personnes qui travaillent au siège m’ont mis en photo sur leurs comptes. Je suis entre leurs enfants, leurs amis… Je suis fier de cela et m’investis donc pour partager ce que j’aime avec qui veut. De l’accrochage de l’exposition du moment à Landerneau aux photos de street-art à l’île Maurice, ou celles d’un boucher ou d’un poissonnier dans les rayons d’un centre E. Leclerc.
Exposition « Hartung et les peintres lyriques » au Fonds Hélène et Edouard Leclerc pour la culture, jusqu’au 17 avril. Aux Capucins de Landerneau 29800 Landerneau – www.fonds-culturel-leclerc.fr
Lire aussi (édition abonnés) : Michel-Edouard Leclerc se rêve en mécène du Finistère