Qu’est ce que l’Aléna que Donald Trump veut renégocier ?
Qu’est ce que l’Aléna que Donald Trump veut renégocier ?
Par Stéphane Lauer (New York, correspondant), Frédéric Saliba (Mexico, correspondance)
Entré en vigueur en 1994, l’accord de libre-échange nord-américain avait pour but d’éliminer la plupart des droits de douane entre les Etats-Unis, le Mexique et le Canada afin de stimuler les échanges entre ces trois pays.
Deux jours seulement après son investiture, le président américain avait annoncé son intention de revoir cet accord de libre-échange, qui encourage selon lui l’exode des emplois manufacturiers américains vers le Mexique. Dans la foulée, la nouvelle administration républicaine avait averti que si ses partenaires refusaient une négociation « qui apporte aux travailleurs américains un accord équitable », les Etats-Unis quitteraient l’Aléna.
L’Aléna, qu’est-ce que c’est ?
L’accord de libre-échange nord américain, dont les négociations avaient été initiées sous la présidence de George H. W. Bush en 1992, est entré en vigueur en 1994 sous Bill Clinton. Le but de l’accord était d’éliminer la plupart des droits de douane entre les Etats-Unis, le Mexique et le Canada, afin de stimuler les échanges entre ces trois pays. Il a aussi levé les principales barrières aux investissements, permettant ainsi aux entreprises de s’installer plus facilement dans les deux autres pays signataires.
Quel est le bilan ?
La question fait l’objet d’un intense débat. Pour le cercle de réflexion Economic Policy Institute, les Etats-Unis auraient perdu environ 800 000 emplois entre 1997 et 2013 du fait des délocalisations encouragées par cet accord. Toutefois, de nombreuses études montrent que les pertes d’emplois subies au cours de cette période par les Etats-Unis sont plus dues à des gains de productivité liés à l’automatisation de la production qu’à des transferts de production vers le Mexique.
Ce qui paraît clair, c’est que l’Aléna a dopé le PIB et le salaire moyen américains. Mais, dans le même temps, cet accord a contribué à la disparition d’un certain nombre d’emplois bien payés, notamment dans l’industrie, qui constituait le socle de la classe moyenne américaine, contribuant ainsi à l’appauvrissement de certaines régions, comme le Midwest.
Donald Trump se focalise aujourd’hui sur le déficit commercial qu’enregistrent les Etats-Unis avec le Mexique. Il est vrai qu’au moment de la signature de l’Aléna le solde était légèrement à l’avantage des Etats-Unis (1,6 milliard de dollars), alors que depuis le déficit n’a cessé de se creuser, pour atteindre 60 milliards de dollars. Mais pour avoir une idée de l’impact réel de l’Aléna, il faut aussi prendre en compte la façon dont il a dynamisé les échanges. Or ceux-ci sont passés de 85 milliards de dollars en 1993 à 532 milliards en 2015. Ainsi, si les exportations mexicaines ont été multipliées par sept sur la période, pour atteindre 296 milliards, dans le même temps les exportations américaines vers le Mexique ont également explosé, passant de 43 milliards à 236 milliards.
Le cas particulier de l’automobile
Le débat sur les effets négatifs de l’Aléna s’est notamment focalisé sur la construction automobile. A raison : le déficit commercial américain dans ce domaine est passé de 24 milliards à 64 milliards. Au moment de la signature, le Mexique fabriquait 1,1 million de véhicules. Aujourd’hui le chiffre s’élève à 3,4 millions. Et grâce à des salaires inférieurs de 80 % à ceux qui sont pratiqués aux Etats-Unis, le Mexique, en un peu plus de vingt ans, a ainsi pratiquement doublé sa part de marché dans la production nord-américaine. Désormais une voiture sur cinq de la zone est fabriquée au Mexique, et le secteur automobile représente 21 % des exportations mexicaines vers les Etats-Unis, selon ProMexico, l’agence de promotion du Mexique.
Que peut-il se passer ?
Donald Trump exige de renégocier le traité, afin de parvenir à un accord « équitable pour les salariés américains », sans quoi les Etats-Unis quitteraient l’Aléna. Ce scénario est prévu dans les textes de l’accord. Si l’un des trois pays souhaite se retirer, il doit le notifier aux deux autres, ouvrant alors une période de 180 jours pour entamer de nouvelles négociations. Si aucun nouvel accord n’est conclu, l’ancien est alors dissous.
Donald Trump menace les constructeurs d’une taxe de 35 % sur leurs produits fabriqués à bas coût au Mexique et vendus aux Etats-Unis. Ford a ainsi annulé un investissement de 1,6 milliard de dollars pour construire une usine dans l’Etat mexicain de San Luis Potosi (nord).
Quel est l’enjeu ?
Le Mexique joue gros : les Etats-Unis sont le premier partenaire commercial du pays. Plus de 80 % de ses exportations sont destinées au voisin du nord, soit près du tiers de son PIB, tandis que les exportations américaines vers le Mexique ne représentent que 1,5 % du PIB des Etats-Unis. Plus de la moitié (52 %) des investissements étrangers vient des Etats-Unis (15,8 milliards de dollars en 2015), selon le ministère mexicain de l’économie. De 1999 à septembre 2016, les entreprises américaines ont investi 209,8 milliards de dollars, contre 16,6 milliards de dollars pour les entreprises mexicaines aux Etats-Unis. De plus, 49 % de ces investissements ont été réalisés dans les secteurs industriels, 16 % dans les services financiers et l’assurance, 11 % dans le commerce. Le reste dans l’hôtellerie-restauration et l’immobilier.
Quels sont les risques pour chacun des pays ?
En cas d’annulation de l’Aléna, le Mexique pourrait entrer en récession, selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepal). A la mi-décembre, la Cepal a annoncé qu’un tel scénario pourrait représenter à terme une contraction de 2,7 % du PIB. Le FMI a récemment revu à la baisse ses prévisions de croissance à 1,7 % pour 2017, alors que la banque Banorte a annoncé, jeudi 26 janvier, une prévision d’à peine 1,1 %. Sans compter que 6 à 8 millions d’emplois mexicains (directs et indirects) dépendent de l’Alena, dans un pays où la moitié de la population est pauvre.
Côté américain, 5 millions d’emplois directs, le double en emplois indirects, seraient en jeu. Certains secteurs, comme celui des producteurs de soja, qui ont quintuplé leurs exportations vers le Mexique depuis 1993, s’inquiètent des tensions entre les deux pays. Le principal risque pour les Etats-Unis serait de renchérir le prix d’un certain nombre de biens, à commencer par les automobiles, au détriment du consommateur américain.
Que peut faire le Mexique ?
Face à une possible taxe américaine de 5 % à 20 % sur les produits mexicains, le gouvernement élabore actuellement une liste de produits importés des Etats-Unis, notamment agricoles et industriels, que le Mexique pourrait taxer à son tour en guise de représailles commerciales.
Sans l’Aléna, dont l’annulation prendra du temps, les relations entre les deux pays seraient régies par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont les taxes sont plafonnées à 8 % et atteignent en général environ 3 %.
Le pays mise aussi sur la diversification de ses échanges, puisqu’il compte 12 traités de libre-échange avec 44 pays (sans compter les Etats-Unis et le Canada), dont les membres de l’Union européenne.