La comédienne Eléonore Hirt. | DR

Toutes deux ont traversé le XXe siècle et sont mortes le même jour, vendredi 27 janvier. Emmanuelle Riva était auréolée de la gloire de deux films qui ont marqué de leur sceau le début et la fin de sa carrière, Hiroshima mon amour, d’Alain Resnais, et Amour, de Michael Haneke. Eléonore Hirt, elle, n’était pas sous le feu des projecteurs. Même si elle a tourné dans une vingtaine de films, dont Vie privée (1961), de Louis Malle, où elle jouait la mère de Brigitte Bardot, elle avait fait du théâtre sa terre d’élection et elle a tenu son rang pendant soixante ans, avec l’élégance de ceux qui suivent un parcours magnifique sans se mettre en avant. C’était une actrice fine, et une femme bien. Elle a été la première épouse de Michel Piccoli, avec qui elle a eu une fille.

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Elle avait 97 ans, et nulle autre biographie que celle de ses rôles, qui traversent l’arc du temps du théâtre d’art, de Charles Dullin à Bruno Bayen, en passant par Jean-Marie Serreau, Jean-Louis Barrault, Jacques Mauclair, Roger Blin ou Jean-Marie Patte. Née le 19 décembre 1919 à Bâle, en Suisse, Eléonore Hirt a choisi de vivre en France, où elle est venue toute jeune, pour étudier l’art dramatique.

Elle apparaît sur une scène dès 1938, dans Noces de sang, de Federico Garcia Lorca, mis en scène par Marcel Herrand, mais c’est après la fin de la deuxième guerre mondiale, en 1947, qu’elle commence vraiment à travailler. Charles Dullin, le plus grand metteur en scène de l’époque, l’appelle pour Cinna, de Corneille, en 1947. Deux ans plus tard, elle est dans son dernier spectacle, L’Avare, et la critique dit qu’elle arrache des larmes d’émotion. Entre-temps, en 1948, elle crée L’Etat de siège, d’Albert Camus, avec Maria Casarès et Pierre Brasseur, un des événements de l’après-guerre.

C’est une grande et belle femme blonde, et une comédienne capable d’être, selon les chroniqueurs, une Athéna « toute blanche , de marbre pur »

On s’épuiserait à signaler toutes les pièces qu’Eléonore Hirt joue ensuite. C’est une grande et belle femme blonde, et une comédienne capable d’être, selon les chroniqueurs, une Athéna « toute blanche , de marbre pur », dans L’Orestie mise en scène par Jean-Louis Barrault en 1955 et, la même année, une intrigante d’« une appétissante perversité » dans une comédie, La Broche. Tout autant que les metteurs en scène, les auteurs guident ses choix. Et de préférence les auteurs à découvrir, comme Fernando Arrabal, dont elle crée Le Cimetière des voitures, sous la direction d’un grand accoucheur de talents, Jean-Marie Serreau, en 1958. A noter, toujours avec Jean-Marie Serreau, Comédie, de Beckett, où Eléonore Hirt partage le plateau avec Delphine Seyrig et Michael Lonsdale, en 1964.

Ce spectacle, filmé par Marin Karmitz, a beaucoup compté pour Eléonore Hirt et Michel Lonsdale : ils l’ont repris en 2006, et ce fut la dernière fois que l’on vit la comédienne en scène. Il y avait plusieurs parts en elle. Elle pouvait « être chinoise comme Laurence Olivier peut être noir », lit-on dans une critique de La Grande imprécation devant les murs de la ville, de Tankred Dorst, que Georges Wilson fait découvrir au TNP, en 1967. Elle savait aussi endosser sans férir le rôle-monstre de La Mère, de Bertolt Brecht, en 1968, et, en 1973, se révéler « l’interprète parfaite » de Ce formidable bordel, de Ionesco, sous la direction de Jacques Mauclair.

Une élégance inquiétante

Ce qui est remarquable, avec Eleonore Hirt, c’est le goût pour l’expérience, qui la mène de la Cour d’honneur, à Avignon, où elle joue Les Troyennes d’Euripide mises en scène par Michael Cacoyannis (1966), aux petites salles chéries d’elle et de Jean-Marie Patte, un grand talent du théâtre qui ne travaille malheureusement plus, mais laisse le souvenir d’inoubliables soirées. Il en fut ainsi de Demi-jour. C’était à la fin des années 1990, qui virent Eléonore Hirt jouer dans plusieurs pièces de Thomas Bernhard, en particulier la première présentée en France, Le Président, mis en scène par Roger Blin, en 1981. Le soir de la première, une partie du public semblait consternée ; l’autre était sous le charme absolu du texte et d’Eléonore Hirt, qui montrait ici la face peut-être la plus secrète et belle de son talent : une élégance inquiétante.

Dates :

19 décembre 1919 : Naissance, à Bâle

1948 : L’Etat de siège, d’Albert Camus

1973 : Ce formidable bordel, de Ionesco

1981 : Le Président, de Thomas Bernhard

27 janvier 2017 : Mort à Paris