Le décret anti-immigration est « immoral mais ne porte pas atteinte à la démocratie américaine »
Le décret anti-immigration est « immoral mais ne porte pas atteinte à la démocratie américaine »
Par Stéphanie Le Bars (Washington, correspondance)
Professeur à l’université Cornell (New York), Michael Dorf a cosigné, avec une cinquantaine de professeurs de droit, une lettre ouverte à Donald Trump.
Une manifestation devant la cour de justice à New York le 28 janvier. | YANA PASKOVA / AFP
Est-ce que la décision de Donald Trump de limoger Sally Yates – la ministre de la justice par intérim en désaccord avec son décret anti-immigration – porte atteinte à l’indépendance de la justice ?
Non, on ne peut pas dire cela. Un « attorney general » (ministre de la justice) est censé mettre en œuvre la politique du président. Il y a des précédents dans l’histoire où les ministres se sont montrés en désaccord avec le chef de l’Etat. On peut faire la comparaison avec ce qui s’est passé sous la présidence de Richard Nixon. Ce dernier avait demandé le limogeage du procureur spécial désigné dans l’affaire du Watergate. Le ministre de la justice, puis son second, refusèrent et démissionnèrent.
Aussi, même si je pense que Sally Yates a eu raison de refuser de défendre le décret présidentiel sur l’immigration, il faut rappeler que M. Trump avait l’autorité légale pour la démettre de ses fonctions. Cette décision était prévisible et d’un point de vue juridique n’apparaît pas problématique.
On pourrait parler d’atteinte à l’indépendance de la justice en cas de poursuites judiciaires engagées contre une personne en fonction de sa couleur politique ou dans le cas de Nixon, car le procureur enquêtait précisément sur lui. Ou bien, encore si le président imposait sa politique alors même qu’elle a été bloquée par la justice.
Mais je reste confiant dans le fait que les tribunaux vont continuer à dire la loi. Les juges fédéraux ne peuvent pas être limogés. Bien sûr, ils ne peuvent rien contre des mesures immorales. Mais ils peuvent agir contre des dispositions illégales.
Dans le cas du décret, on peut penser que le fait de suspendre temporairement l’admission de réfugiés sur le territoire américain est immoral et va à l’encontre du droit international, mais cela ne viole pas la loi américaine. Cela explique que les premières plaintes contre le décret ne concernent pas les refus d’admission mais le renvoi des personnes détenues dans les aéroports.
L’ Etat de Washington a décidé d’attaquer ce décret qu’il juge anticonstitutionnel. Qu’en pensez-vous ?
L’analyse de Mme Yates est de dire que le refus d’admettre des personnes sur le territoire américain fait apparemment référence à des origines nationales mais qu’en réalité, l’intention est de discriminer les musulmans, ce qui est une violation de la liberté de religion garantie par le premier amendement de la Constitution.
Je pense qu’elle a raison. Même si cela n’est pas écrit noir sur blanc, suffisamment d’indices laissent penser qu’il s’agit bien d’un texte visant les musulmans. M. Trump, lui-même, a évoqué la priorité à donner aux chrétiens. Un de ses proches, Rudy Giuliani, a rapporté que le président lui avait demandé de réfléchir aux moyens de rendre légal un texte contre la venue des musulmans…
Ce genre de cas a existé dans le passé. A la fin du XIXe siècle, l’Oklahoma a tenté d’imposer une loi exigeant des électeurs qu’ils sachent écrire ou qu’ils puissent prouver qu’un de leur grand-père avait déjà voté. Cela visait implicitement les Afro-Américains, descendants d’esclaves.
Les décisions de ces derniers jours mettent-elles à l’épreuve la démocratie américaine ?
Non. Encore une fois, on peut considérer que le décret représente la trahison d’une certaine conception des Etats-Unis comme refuge pour les immigrants et une forme de cruauté envers les réfugiés, mais le texte en lui-même ne constitue pas une menace pour la démocratie.
La menace pour l’Etat de droit, en revanche, serait que les responsables de la sécurité intérieure n’appliquent pas les décisions de justice, par exemple en empêchant des gens détenus dans les aéroports d’avoir accès à un avocat, ou en renvoyant des réfugiés alors qu’un juge fédéral l’a interdit.
Après la désignation, mardi, par M. Trump d’un nouveau juge conservateur à la Cour suprême, les démocrates ont-ils le pouvoir de bloquer sa nomination ?
Aujourd’hui, il faut soixante votes pour confirmer la nomination d’un juge à la Cour suprême. Les républicains ont donc besoin de voix démocrates. Mais tout le monde s’accorde à penser que si les démocrates ont recours à l’obstruction (« filibuster »), les républicains utiliseront « l’arme nucléaire » et changeront les règles pour qu’une nomination soit entérinée avec une majorité simple. Il y a peu de chances que les démocrates prennent ce risque.